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indécis et de ses cheveux flottants, irritée de son corps mièvre ; elle veut paraître plus âgée et bombe sa petite poitrine. Elle enrage d’avoir encore tant à apprendre pour arriver à faire quelque chose vraiment bien. Elle essaie des phrases qu’elle dirait, ou qu’elle aimerait dire, si elle était une femme ; elle soupire : « Quand, mais quand donc serai-je une grande personne ? Ça ne viendra donc jamais ? »

Elle compte les années avec découragement, les mois aussi ; pas les jours : c’est impossible, ils passent si lentement Elle est persuadée qu’il y en a plus qu’on ne dit en un an, et que le jour bienheureux où elle ne sera plus une fillette oubliera de se lever.

Elle se croit rejetée dans le néant ; elle se souvient d’une petite existence charmante, d’où on l’a retirée pour l’enfermer dans des limbes blanchâtres et ternes ; et elle se demande quel est le sauveur qui viendra jamais l’arracher de celle prison ?

Entre tant d’ennui et tant de désir, elle n’a pas une idée personnelle, pas de vie, pas de relief, pas de couleur ; elle fait tout automatiquement.

Elle n’est plus qu’une machine qui tourne, qui tournera docilement jusqu’à ce que l’objet qu’elle confectionne soit à point. De fait, alors qu’elle croit piétiner sur place, un grand travail se fait : sa petite personne est une espèce de creuset ; tout est à la fonte ; l’intelligence, les idées, les aspirations, les désirs, le caractère, les goûts même, tout cela bout ensemble dans cette fusion incolore qui donne la nausée à l’enfant… et d’où sortira, six ou sept ans plus tard, une femme, — lu femme, précisément, dont je ne veux rien savoir.


MARIE PERRENS.