Mon théâtre vit aussi de fameux bûchers ; il y eut le bûcher d’un roi hindou où beaucoup de femmes périrent ; le jardin avait fourni le bois, et des feuilles figuraient des branches de palmier avec lesquels des pantins esclaves, noircis au charbon, attisaient la flamme ; un petit bout de papier d’Arménie, tombé de l’armoire de bonne maman, brûlait dans un coin et figurait à ravir tous ces parfums de l’Inde que j’avais sentis dans un livre de voyages. Cet enterrement fut magnifique.
Il y eut aussi celui de Didon, mais ce fut moins réussi, parce que je n’avais sur cette dame que des données un peu vagues.
Je me rattrapai sur Hercule : c’était mon dieu favori ; depuis que je savais l’Afrique portée par une de ses épaules, je ressentais pour lui un respect mêlé de folle admiration. Cette force inouïe me séduisait probablement d’autant plus que personne à la maison n’était capable d’en déployer ; un souffle eût renversé bon papa ; maman, c’était la force morale incarnée ; et bonne maman, un fil, un fil actif et ardent.
Cet Hercule, l’ai-je assez aimé ! ai-je assez admiré l’aisance avec laquelle il maniait les mondes et les difficultés ! Je l’invoquais chaque fois que j’en rencontrais une.
S’il était là, pensais-je, il pourrait laisser le monde un instant, il me jucherait sur son épaule si haute, et de là, je verrais au-dessus des murs voisins, au-dessus des arbres, au-dessus de tout ce qui me cache la vie des autres !… Maman me menait à une gymnastique où on me donnait des massues pour développer mes bras trop maigres ; j’en demandais toujours de plus lourdes pour me rapprocher de mon demi-dieu et on se moquait de moi. (Surtout, qu’on n’aille pas se figurer qu’en grandissant, j’ai reporté cette admiration sur les forts de la Halle, et sur les déménageurs ! ! !)
J’étais très contrariée qu’il eût aussi mal fini. Je lui fis à plusieurs reprises des funérailles grandioses ; j’avais arraché quelques poils à une descente de lit de fourrure pour figurer la fameuse toison.
Un jour d’enthousiasme, pour faire honneur à mon héros et afin que ce fût plus beau, sans respect de l’ordre du temps, de la légende et de l’histoire, je réunis, dans un mariage suprême, Didon et Hercule sur le même bûcher !