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la manœuvre dessinée depuis si longtemps sur le terrain, est mûre dans les volontés et dans les cœurs. La résolution est prise… Moment unique dans l’histoire du monde. Le général Joffre, dans l’admirable lettre écrite au Gouvernement, découvre son intelligence parfaite de la situation qui lui permet, maintenant, d’arrêter la retraite et de livrer bataille :

La situation stratégique est donc excellente, et nous ne pouvons compter sur des conditions meilleures pour notre offensive, c’est pourquoi j’ai décidé de passer à l’attaque. Le maréchal French m’a assuré que je pouvais compter sur une coopération énergique. Un point d’interrogation néanmoins se pose au sujet de l’action de l’armée anglaise. Son chef d’État-major a eu à Melun une entrevue avec le gouverneur de Paris, cependant que le sous-chef d’État-major voyait, à Bray, le commandant de la 5e armée. Les conclusions de ces entrevues me paraissent quelque peu divergentes, mais j’ai adopté des dispositions capables de s’accommoder de l’une ou l’autre des solutions prises.

Quoi qu’il en soit, la lutte qui va s’engager peut avoir des résultats décisifs, mais peut avoir aussi pour le pays, en cas d’échec, les conséquences les plus graves. Je suis décidé à engager toutes nos troupes à fond et sans réserve pour concourir à la victoire. Il est essentiel que l’armée anglaise fasse de même, et je compte que vous voudrez bien attirer, par la voie diplomatique, l’attention du maréchal sur l’importance d’une offensive sans arrière-pensée…

Ainsi Joffre s’engageait ; ainsi sa volonté entraînait tout. S’il eût perdu la bataille, un tel document eût servi à l’accabler. Or, il n’a pas hésité à l’écrire. N’est-ce pas un titre unique à la reconnaissance du pays et à l’admiration de la postérité ?

Quelle que soit la partie du front que l’on envisage, on voit Joffre agir de même. Partout il suscite les courages, mais en même temps, il les contient. Car il entend que toutes les armées marchent ensemble au combat décisif à l’heure que lui-même aura déterminée.

Il écrit au général Foch, le 27 août, 14 heures :

Découvrir complètement la gauche du général Lanrezac au moment où il va contre-attaquer, le mettrait dans une situation critique. D’autre part, nous avons deux divisions de réserve à Berthenicourt et à Bapaume et tout le corps de cavalerie en attente sur la gauche même de l’armée anglaise, enfin des forces nouvelles débarquées dans la région de Chaulnes. La situation n’est donc nullement critique pour elle.