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voient apparaître à Proyart, dans la région de la Somme, des éléments actifs, tandis qu’ils croyaient n’avoir affaire qu’à des divisions de territoriaux ou de réserve. C’était, dès le 25 août, la première application de la méthode nouvelle. Le 7e corps qui, la veille, combattait en Alsace, était transporté dans la région de Paris et Maunoury lui-même, vainqueur à Etain, dans la Meuse, venait prendre le commandement de cette nouvelle armée, constituée ainsi, en grande partie. De même la 9e armée, confiée au général Foch, fut créée avec des éléments empruntés à d’autres armées. Au cours de la bataille de la Marne, le 21e corps, le 15e corps, etc. furent enlevés à Dubail et à Castelnau et intervinrent comme renforts à la trouée de Mailly, à la trouée de Revigny, etc. La manœuvre des lignes intérieures par les « réserves combattantes » fut l’élément « surprise » à la victoire de la Marne. Les Allemands l’imitèrent bientôt, mais avec infiniment moins d’opportunité et de savoir-faire technique. Von Heeringen, enlevé aux Vosges, arriva sur l’Aisne trop tard. Par sa conception initiale, Joffre resta le maître de l’instrument qu’il avait créé et qu’il transmit à ses successeurs[1].

Ainsi, dans la bataille de la Marne, deux éléments apparaissent qui arrachent la victoire à l’ennemi : d’abord une conception militaire nouvelle, à la fois savante et souple, élastique et forte, réalisée précisément par ce grand État-major, dont le général Joffre a soigné si particulièrement pendant la paix la préparation ; et l’autre, disons-le franchement, le caractère du général en chef, les qualités propres et les vertus d’un

  1. Que les Allemands aient essayé d’emprunter cette méthode au général Joffre dès que les faits la leur eurent révélée, c’est ce qui résulte, en particulier, d’un passage du Mémoire du général von Hausen qui commandait la IIIe armée à la bataille de la Marne : « Il manquait, dit-il, au front allemand (pour gagner la bataille de la Marne) les quatre corps d’armée que l’on avait retirés de l’aile gauche allemande pour les placer à l’aile droite en vue d’empêcher que l’adversaire ne put tourner celle-ci. Ces corps (enlevés à l’armée von Heeringen dans les Vosges) n’entrèrent pas en action. Dès que le Grand Commandement eut compris que les Français, renforçaient continuellement leur aile gauche pour nous tourner, nous essayâmes de faire de même et, COMME LES FRANÇAIS, nous tirâmes nos troupes d’Alsace-Lorraine. Mais cette mesure fut décidée trop tard et elle tourna mal pour nous : on n’eût pas dû oublier que nous nous buttions sur les lignes extérieures et que les chemins de fer, dans nos lignes d’étape, ne fonctionnaient pas comme chez l’ennemi. Si bien que nos corps arrivèrent trop tard et que finalement, sur aucun point, ils ne participèrent pas à la bataille. » (Introduction au Mémoire de von Hausen, par Kircheisen.)