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Prusse se distribuaient les morceaux. Dans le second, la Prusse et la Russie prenaient seules leur part du festin ; c’était après Valmy ; la Prusse, déjà lasse de lutter contre la France, avait déclaré qu’elle ne continuerait la guerre qu’à la condition de recevoir en Pologne une compensation avantageuse et Catherine II s’était prêtée à ce marchandage. Lorsque les Soviets et le Reich crient très haut qu’il n’a jamais existé entre eux aucun accord secret, nous avons le droit de ne pas nous fier trop aveuglément à leurs protestations concordantes.

On s’explique mal comment le gouvernement britannique, qui avait collaboré avec les États-Unis et avec la France à la restauration de la Pologne, a pu oublier, depuis quelques mois, les leçons de cette longue histoire et se désintéresser aussi complètement de l’intégrité et de l’indépendance de l’État ressuscité. M. Lloyd George a, il est vrai, déclaré que le maintien d’une Pologne forte et autonome était indispensable à la conservation de la paix. Il s’est même décidé à prononcer, sur le tard, quelques paroles de sympathie pour les héroïques armées qui défendaient, sous les murs de Varsovie, leurs libertés nationales. Lord Curzon et lui n’en ont pas moins fait, en dehors de la France, auprès du gouvernement polonais, une démarche singulière, et qui risquait de le décourager, lorsqu’ils lui ont conseillé d’accepter des conditions qui auraient permis aux Soviets de s’immiscer à leur guise dans les affaires intérieures de la Pologne. Une telle recommandation, qu’une bonne partie de la presse anglaise a blâmée, et qui heureusement n’a pas été exécutée, était contraire, non seulement aux intérêts vitaux de la Pologne, mais à ceux de tous les Alliés et, si elle avait amené les Polonais à déposer les armes avant leur tentative suprême, les Bolcheviks et l’Allemagne eussent été seuls à s’en réjouir.

J’aurais préféré, je l’avoue, qu’au même moment, la France ne se séparât pas, à son tour, de l’Angleterre, en reconnaissant le gouvernement du général Wrangel. Je sais bien qu’après avoir eu l’illusion de lancer au secours de la Pologne la Tchéco-Slovaquie, la Roumanie, voire même la Hongrie, on a pensé que les troupes du général opéreraient dans le Sud une utile diversion. Mais la reconnaissance n’ajoutait rien à la force militaire de ces troupes et, à supposer que le geste fût opportun, perdait presque toute efficacité par l’abstention des autres nations alliées. Il a eu, en tout cas, l’inconvénient d’opposer, sans aucun intérêt pratique, notre attitude à celle de l’Angleterre. M. Lloyd George s’en est montré quelque peu