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élémentaire, s’ils avaient tenu plus grand compte des remarquables travaux de ce Comité d’Études qui, pendant la guerre, siégeait à notre ministère des Affaires étrangères sous la présidence de M. Ernest Lavisse et sous la vice-présidence de M. Charles Benoist. Un des membres de ce Comité, M. Grappin, professeur au Prytanée militaire de la Flèche et auteur d’une belle Histoire de la Pologne, avait examiné, en un savant rapport, les conditions de la propriété foncière sur les territoires de l’ancien royaume, et il avait montré que les Polonais de toutes opinions, les socialistes comme les autres, étaient d’accord pour réclamer un large domaine à l’Est, et cela, non pas dans un intérêt politique et militaire, mais dans la pensée de trouver une solution plus facile à un redoutable problème agraire et social. La Pologne a un immense contingent de population rurale, dont elle se soulage chaque année par des émigrations temporaires ou définitives. Au lieu de chercher de lointains débouchés dans le Nouveau Monde et de fournir à l’Allemagne un supplément périodique de main-d’œuvre, le paysan polonais préférerait certainement ne se point exiler et cultiver, dans les confins, des terres qui sont pour la plupart la propriété de ses compatriotes. Il était donc à prévoir que la Pologne se laisserait tenter par ces vastes régions dont la souveraineté demeurait incertaine et qu’elle chercherait à poser elle-même aussi loin que possible les bornes dont les Alliés ne lui avaient pas indiqué l’emplacement. De leur côté, les Soviets, héritiers masqués et fidèles disciples de l’ancien impérialisme moscovite, s’étaient promis, comme l’Allemagne, de réduire la Pologne à sa plus simple expression géographique et morale. Ils avaient massé dans les provinces litigieuses une armée rouge qui n’était évidemment pas là pour rester longtemps l’arme au pied. Entre ces deux courants d’électricité contraire, comment l’étincelle n’aurait-elle pas jailli? Quelles que fussent, du reste, les causes immédiates de l’incendie, il ne se serait pas propagé si vite sans les matières combustibles que les siècles ont amoncelées entre la Vistule et le Niémen.

La question des frontières de l’État polonais avait cependant été fort bien étudiée, elle aussi, par un autre membre du Comité que présidaient MM. Lavisse et Charles Benoist. M. Fallex, professeur au Lycée Louis-le-Grand, avait montré quelles avaient été, au cours des siècles, les lignes successives qui avaient si souvent modifié la configuration de la Pologne. A l’Ouest, les Slaves s’étaient progressivement retirés sous la pression germanique. Un premier repli les