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chrétienne et cette jalousie des mères, un sentiment presque farouche.

Puis, restée seule, Mme Bermance est quelque temps comme étourdie dans l’atmosphère intolérable où elle croit qu’elle respire une odeur de péché. Elle revoit, « posée sur ses genoux, la tête de la jeune femme, et la masse des cheveux blonds, et la nuque trop blanche, et la naissance voluptueuse des épaules que découvrait le peignoir de laine : » la plus jolie fille de Thann, et qui a été la maîtresse d’André, lui donne le dégoût. Puis elle médite, elle pleure et elle prie. Elle comprend son dur devoir. Elle songe que Maria ne dort pas et est probablement plus désespérée qu’avant son aveu. Elle monte à la chambre de Maria. C’est dans la maison des Ritzen… Sa timidité, son habitude des convenances, sa crainte d’attirer l’attention sur elle, la firent encore hésiter. Elle était de celles qui sont plus braves au dedans qu’au dehors. Cependant elle quitta ses chaussures, pour moins trahir sa marche, prit un bougeoir et, le cœur tremblant, elle sortit de sa chambre. Elle dit à Maria : « Je vous emmène chez moi, où il vous aurait amenée. Oui, chez moi, dans ma vieille maison. Je vous y recevrai comme sa femme. Et votre enfant naîtra où j’ai mis au monde André. » Le roman pourrait avoir ici le point final ; mais j’ai trop vite résumé les doutes par lesquels passe la mère d’André Bermance avant d’aboutir à la certitude. La suite et la fin du roman montrent comment l’émotion généreuse devient, en Mme Bermance, une volonté forte et comment sa volonté forte triomphe de toutes les difficultés que lui suscitent le pharisaïsme de quelques personnes, la malice des autres.

Les bonnes femmes de Chapareillan, qui sont de très méchantes femmes, ont mal accueilli la pauvre Maria, la soupçonnent d’être une Boche, une espionne ; et, pour la tourmenter, que n’imaginent-elles pas ? Une vieille servante, Gertrude, mène le chœur des chipies. Aux dernières pages du livre, il y a une espèce d’émeute villageoise ; les chipies sont entrées dans la maison de Mme Bermance, où Maria vient d’accoucher. Les chipies montent l’escalier. La sage-femme dit que c’est plus de vacarme qu’il n’en faut pour la mère et pour l’enfant : les chipies ne désarment pas. Alors, Mme Bermance parait, tenant dans ses bras le petit être emmailloté. Elle dit : « C’est mon petit-fils ! » Elle le montre à la ronde ; et les méchantes femmes, à regarder l’enfant et à le prendre dans leurs bras, à le toucher et à le trouver beau, s’adoucissent comme, dirait-on, par enchantement.

C’est un symbole, et assez beau, qui affirme qu’il faut que les querelles de France veuillent céder au prestige de l’enfant, plus