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spectateur et le protagoniste… Eh ! bien, la Résurrection de la chair n’a aucune espèce d’analogie avec la tragédie de Sophocle ; mais le stratagème de l’exposition, dans le roman et dans la tragédie, est le même. Il faut que nous sachions ce qui s’est passé avant que la tragédie commence : et il faut qu’Œdipe le sache ; et c’est lui qui mène l’enquête. Il faut que nous sachions ce qui s’est passé avant la mort d’André Bermance : et il faut que Maria Ritzen le dise à Mme Bermance ; elle l’a fait venir pour cela. Cet habile romancier n’a pas recours à des confidents de hasard et dont l’indifférence bientôt se communiquerait à son lecteur. Il ne nous offre pas non plus un tranquille récit que nous lirions tout à loisir.

Les éléments du drame sont révélés à nous et à la personne qui a l’intérêt le plus vif à les apprendre : ainsi, chaque révélation nous émeut davantage, étant augmentée de l’émoi qu’éprouve, complice et instigatrice de notre curiosité, la mère d’André Bermance. Et les éléments du drame sont révélés à nous et à Mme Bermance par la personne à qui certes il en coûte le plus d’un tel aveu. Or, je disais que l’histoire d’André Bermance et de Maria Ritzen, vue au miroir de deux âmes très pures, en devient plus digne et plus chaste : plus pathétique aussi lorsque ces deux âmes très pures en reçoivent une commotion si terrible ! Excellente habileté du romancier, mais non pas une rouerie : l’art le meilleur.

Maria Ritzen a supplié Mme Bermance de venir. Mme Bermance arrive le soir. Il fait nuit. Et les deux femmes se rencontrent dans la nuit. Mme Bermance se sentait perdue, égarée dans un pays inconnu. Elle ne savait où aller, avec sa valise et ses couvertures. Elle apercevait des formes de montagnes, et des nuages, et des étoiles. Une ombre qui s’approche lui demande : « Vous êtes Mme Bermance ? — Oui. — Je suis Maria Ritzen. » Elles étaient l’une et l’autre inquiètes, à l’idée de se voir, la mère et la fiancée : la pénombre leur sert à protéger leur timidité frissonnante.

Et l’aveu ? Maria Ritzen devra se confesser à la mère d’André Bermance. Elle ne le fait pas sans retard. Elle hésite. Quand elle se décide à parler, c’est que le secret qu’elle garde depuis longtemps ne lui tient plus dans le cœur. Elle dit à Mme Bermance : « Ah ! madame, pardonnez-moi ! » Elle ne dit pas : « pardonnez-nous, » bien que la faute soit plutôt celle d’André ; mais elle prend pour elle toute la faute. Elle prend toute la faute pour elle à un tel point que Mme Bermance vient à s’y tromper. Maria dit que ses parents avaient préparé pour André une chambre. Et Mme Bermance : « Pourquoi