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développe en des phases diverses et en des combinaisons extrêmement complexes. Le véritable historien de la guerre sera celui qui pourra faire percevoir ce tout en mouvement et en « devenir » et qui, finalement, par une infinité de fils rassemblés en une trame unique, saura rétablir le dessin complet de la victoire

Pour être clair, prenons un exemple. Gallieni et Maunoury attaquent sur l’Ourcq, Foch est attaqué sur les marais de Saint-Gond. Ainsi Joffre cherche le flanc de l’ennemi au moment où l’ennemi veut rompre le front de Joffre. Contre Maunoury, von Kluck a ramené toute son année au Nord : de la Marne, la bataille paraît indécise le 8 septembre au soir ; contre Foch, Bülow et von Hausen ont jeté leurs deux armées, Foch tient tête héroïquement ; mais de ce côté aussi, la bataille paraît indécise le 8 au soir. Cependant, par suite de ces deux offensives contraires, l’une française, l’autre allemande, le front allemand a dû se distendre jusqu’à laisser l’armée du centre, celle de Bülow, sans liaison et sans protection sur son flanc droit. Une fissure se crée dans la ligne allemande. L’armée anglaise et l’armée Franchet d’Esperey entrent dans cette fissure et déterminent la retraite de l’armée von Kluck et de l’armée Bülow, ce qui entraîne la retraite générale. N’est-il pas évident qu’il ne faut pas chercher les raisons de la victoire exclusivement sur tel ou tel point, mais partout à la fois ? Et encore, nous n’avons pas fait entrer en ligne de compte les succès simultanés et non moins décisifs de Castelnau, de Dubail, de Sarrail et de Langle-de Cary.

Généraux, commandants d’armées et de divisions, obéissant tous à une volonté unique, leurs efforts particuliers ne peuvent être liés que par cette volonté supérieure qui forme le faisceau : sans elle ils ne sont que des traits séparés. Cette faculté de concevoir et de dominer les ensembles. Combien de généraux la possèdent ? Or, il est impossible de nier que, dès le début des opérations, elle appartenait au général Joffre.

Certes, au moment où il donnait ses premiers ordres, il n’avait pas fait ses preuves, il n’avait pas reçu « le baptême du haut commandement. » Mais il fut tout de suite consacré. L’officier et le soldat eurent confiance. « Si vous leur dites, écrit un officier de la Marne, que le général Joffre n’a pas attiré les Allemands dans un piège, ils vous traitent d’imbécile. » Ce fut une bonne fortune pour la France d’avoir, dès ce moment, à la