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élevé avec une tendresse de mère et, si l’on peut dire, avec une tendresse de veuve. Ils passent une partie de l’année dans le petit domaine de La Colombière, qui n’est pas loin de Grenoble et dont la maison ressemble aux Charmettes : « Même douceur rustique, même accueil paisible. Un haut toit couvert de ces larges tuiles brunes arrondies qui prennent de beaux tons de châtaigne ; des volets blancs et pleins ; de ces petites fenêtres, à la mode d’autrefois, qui donnaient aux habitations un air de vie intérieure, tandis que nos grandes baies nous détournent de nous-mêmes pour nous attirer au dehors. Une glycine orne sa façade… Une allée la relie au pigeonnier qui surmonte la fontaine ; et cette allée passe sous un arceau de vigne… Le jardin s’étend derrière, et le verger de pommiers et de pruniers, puis les prés et les champs. » Il fallait citer ce passage : la maison des Bermance donne à bien deviner ce qu’est la famille Bermance et comment elle vit.

La Colombière dépend du village de Chapareillan-le-Vieux ; à quelque douze cents mètres de là, il y a Chapareillan-le-Neuf ou Chapareillan-Ville. Dès son enfance, André Bermance préférait le village à la ville : c’était à cause de la colline de Bellecombe et des pentes sauvages et rocheuses qui, par les forêts, conduisent au lac Noir. André Bermance avait une gaieté naturelle, et qui ne résultait pas d’une méditation, mais qui lui servait de philosophie. Comme il avait environ dix-sept ans, sa mère lui demanda un jour s’il ne manquait pas de dire ses prières. Il répondit tout simplement qu’il les disait le matin, si le temps était beau. « Pourquoi ? — Parce que, le matin, quand il fait beau temps, je pense à Dieu. — Les autres jours, tu n’y penses pas ? — Oh ! non. » Bref, il réunissait l’idée de Dieu et le sentiment de la joie.

André Bermance a terminé ses études à l’école d’électricité de Grenoble, pour être ingénieur, comme son père. La guerre éclate : le deuxième jour de la mobilisation, il rejoint à Bussang le bataillon de chasseurs auquel il est affecté comme sous-lieutenant de réserve. Il appartient à ces troupes heureuses, bientôt déçues, qui les premières firent leur entrée en Alsace et à Mulhouse. La 66e division, la sienne, travaille en Alsace pendant les derniers mois de l’année 1914 et toute l’année 1915. L’attaque sur les bois d’Uffholz, à la fin de décembre 1914, marque la direction vers le sommet de l’Hartmann, qui est pris au début de janvier, repris le 26 mars. Au mois de juin, prise de Metzeral : et les chemins sont ouverts sur Munster et Colmar. A Metzeral, André Bermance est blessé deux fois,