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n’avaient jamais ouï parler de mes amis si distingués, Hercule, Proserpine et Diane.

Un jour, on m’appela au salon pour une dame blonde, bouclée, auréolée, parfumée et toute en sourires ; on disait qu’elle s’était mariée il y avait une trentaine d’années à seize ans, avec un vieux magistrat de mari qui l’enfermait a clef jusqu’à l’heure où il était libre de sortir avec elle ; et qu’il ne lui laissait pas d’argent parce qu’elle était trop dépensière. Elle me raconta qu’elle revenait de Monte Carlo où il y avait eu un tremblement de terre ; on en parlait beaucoup à cette époque-là. Farcie d’histoires de l’antiquité, je lui demandai si elle n’était pas descendue dans une fente par curiosité. Elle me répondit que son lit avait oscillé et que ça l’avait figée surplace. Puis elle me parla du midi, du soleil, des fleurs, et m’affirma qu’il y avait un pied de violettes dans son manchon de fourrure ; je connaissais le manchon de maman, le mien propre donné par mon vieil ami, et je fus très intriguée par cette nouvelle espèce de manchon. « Cherche dedans, dit-elle. » Je passai la main et retirai en effet des violettes magnifiques ; interdite, je m’arrêtai ; « encore, encore, dit-elle, il y en a toujours ; » et je tirai, je tirai des violettes indéfiniment, à la grande joie de la dame blonde. Je n’eus pas le temps d’avoir de déception ; quelqu’un entra ; la fée aux violettes se leva toujours souriante, dit adieu et sortit, en jetant toujours des fleurs de son manchon. Encore aujourd’hui, je suis persuadée que le pied avait ses racines et poussait dans le manchon.

Ces dames-là ne finissent jamais bien. Je la revis dix ans plus tard, aussi blonde, bouclée, parfumée, et séduisante, mais vieillie et déformée ; ses enfants lui avaient donné un conseil de famille et la voyaient peu ou point ; puis on ne me mena plus chez elle, et quand je m’informai, on me répondit : « Tu sauras quand tu seras mariée. »

Elle mourut dans la misère.


X. — LA MORT DU POIRIER

Nous n’avions pas de maison de campagne, pas le moindre petit coin où des gens de notre famille eussent vécu jadis ; mes grands-parents avaient définitivement abandonné le midi ; et maman, dans sa si courte vie maritale, n’avait eu le temps de se poser nulle part.