Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon papa s’entêta : « Je ne vois vraiment pas où vous voyez une gaffe. » Moi aussi, je m’entêtais dans mes sottises.

D’autres fois, on jouait à ce petit jeu qui consiste à écrire une question, une réponse, et un jugement ; ce jeu était pour les dîners de gens spirituels.

Un soir, les invités, qui m’aimaient bien (je devais avoir sept ans) insistèrent pour que je prisse part au jeu un quart d’heure. Une fois les papiers remplis, un grand ami de bon papa, debout devant la cheminée, les lut, avec finesse sans doute, car on entendait dans le salon des murmures charmés. Enfin, il arriva au dernier ; bon papa avait posé la question : « Avec qui voudriez-vous être en purgatoire ? » Et un homme charmant, qui fut toujours d’une délicatesse exquise pour toute ma famille avait répondu : « Avec celle qui m’empêche d’aller en Paradis. » Le murmure s’accentua ; mais le lecteur, me regardant d’un bon sourire indulgent et affectueux, acheva : « et Pâquerette a mis en dessous : C’est une bêtise ! » Il y eut un fou rire ; je devins cramoisie et je fus prise d’une irrésistible envie d’aller me coucher que personne ne songea à contrarier !

Ah ! Pâquerette, Pâquerette, il a fallu que plus de vingt ans se passent, et le hasard d’un papier retrouvé au fond d’un tiroir pour que vous deviniez le trouble de cœur qui s’était caché ce soir-là sous une fine plaisanterie, pour que vous précisiez quelques indices flottants dans votre mémoire. Bien flottants, à la vérité, puisque personne n’en dit jamais mot, que le silence de la grandeur morale étouffa quelques faits insignifiants d’apparence, et que seule survivante de ces grands cœurs, vous ne saurez jamais rien de plus !

Les visites du dimanche m’ennuyaient carrément ; on m’embrassait trop et on me posait sur mon travail des questions oiseuses auxquelles je répondais très poliment sans qu’on m’écoutât ; bon papa s’asseyait sur un affreux canapé marron, entre deux amis, et parlait politique ; bonne maman, je l’ai déjà dit, présidait près de la cheminée, assez silencieuse, car elle n’avait plus la vivacité pleine d’esprit de sa jeunesse. Maman causait, et était charmante ; elle savait tout ; que n’eût-elle pas appris avec cette mémoire qui retenait en se jouant et cette intelligence qui devinait les gens avant qu’ils eussent parlé ? Mais elle n’avait pas cette sûreté de soi que donne le bonheur ; et je sentais, dans mon âme d’enfant, qu’une grande injustice, depuis toujours,