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est dans la guerre le plus fort, parce que c’est celui qui met en œuvre le plus de forces nationales ». Ce jugement mémorable, du grand chef et du profond penseur militaire, qu’aucun soupçon de courtisanerie politicienne ou démagogique n’a jamais effleuré, pourrait s’.étendre également à l’action extérieure de la France.

J’ai toujours été enclin à croire, quant à moi, que l’histoire, lorsqu’elle parle des temps reculés, prête aux grands hommes plus de plans préconçus et moins d’empirisme qu’ils n’en ont eu en réalité. A tout le moins, selon la comparaison chère à Albert Sorel, ils ont dû manœuvrer à la manière des capitaines de voiliers : avec une simple boussole, ou seulement une étoile pour fixer leur orientation générale, ils ont louvoyé suivant les vents ou les courants, sans toujours savoir quand et comment ils parviendraient au but. Quoi qu’il en soit à cet égard, les conditions présentes de la vie publique sont infiniment défavorables à l’éclosion des personnalités dominantes : l’immensité et la complexité des événements dépassent les limites intellectuelles des individus ; la rapidité et la multiplicité des communications, comme l’encombrement de l’existence parlementaire, excèdent leurs forces physiques normales, et leur crédit moral s’use rapidement, si bien qu’il leur est souvent impossible de seulement entrevoir la portée des incidents auxquels ils sont mêlés, comme aussi de conserver longtemps la direction des affaires. Aucune œuvre de longue haleine ne se peut désormais aborder, poursuivre et accomplir, ai elle n’est celle du pays tout entier. Or, à deux reprises, le Tiers-Etat sous la Révolution, la démocratie depuis 1871, ont su, en définitive, s’acquitter du devoir national dans les circonstances les plus effrayantes ou les plus déprimantes. C’est pourquoi notre foi doit demeurer plus solide que jamais dans les destinées prochaines de notre France victorieuse.


ANDRE LEBON.