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assoupi des masses profondes. Cette fois, on peut le dire, le sentiment national devança celui des gouvernements, s’élevant progressivement à la conscience du devoir imminent avant même que les chefs responsables crussent seulement à la possibilité d’une guerre aussi formidable. Qui n’a pas suivi pas à pas cette lente et silencieuse stratification de l’âme nationale, ne peut ni apprécier les merveilleuses réserves d’énergie de la race, ni comprendre l’admirable élan du 1er août 1914, l’incroyable endurance de nos poilus et l’inébranlable solidité des civils à l’heure des revers.

Telle a été, résumée dans ses traits essentiels, dégagée de ses bavures et de ses ombres, l’histoire de la troisième République. Aucune révélation future des archives ne saurait jamais en modifier ni les grandes lignes, ni la haute signification morale : œuvrer de tous et de chacun, de tous plus encore que de chacun, comme l’a été la guerre elle-même, puisque la majorité du pays n’a pas cessé, durant cinquante années, de soutenir les gouvernants, pourtant si variés et parfois si discordants, qui y ont participé ; œuvre pénible, assurément, mais grandiose et bienfaisante puisqu’elle a procuré son salut à la France.

Il est de mise, chez les dénigrants et les pessimistes, de contester notre aptitude colonisatrice, sans qu’on songe assez parmi ceux-là, pour citer un seul cas entre plusieurs, que nulle puissance au monde n’a jamais créé une colonie aussi prospère que l’Algérie dans le peu de lustres qui séparent l’insurrection de l’Aurès en 1873 des temps où nous vivons, et ce, malgré les incertitudes et les contradictions des systèmes politiques et administratifs qui y ont été successivement appliqués. De même en va-t-il pour notre action extérieure : le pays a montré, dans la poussée continue de l’instinct national, qu’il sait, quand besoin est, où tourner ses efforts pour prouver sa survivance aux désastres, pour s’imposer à l’estime de ses émules, pour faire rechercher son alliance. Ce qu’il a fait dans ce dernier demi-siècle est un sûr garant de l’avenir qu’il se prépare à lui-même aujourd’hui, paisible et laborieux, dans le tourbillon universel déchaîné par le récent cataclysme.

Complétant l’aphorisme connu de Montesquieu sur les mérites et aussi les exigences du régime républicain, l’illustre maréchal Foch a dit tout récemment à ses camarades de l’École polytechnique : « J’ajoute sans hésitation que ce Gouvernement