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le règlement de ces innombrables différends, réussirent finalement à dissiper la méfiance d’Albion ; et, lorsque le jeune et intempérant Guillaume II, ayant secoué le pesant joug de Bismarck, proclama que son avenir était sur mer, l’Angleterre s’avisa tardivement que le péril allait venir pour elle de Berlin bien plus que de Paris ; elle songea qu’elle aussi trouverait peut-être chez nous un concours efficace pour y parer.

Il ne faudrait pourtant pas croire que la France se fût laissé si complètement hypnotiser par les entreprises lointaines qu’elle eût perdu le souci de ses redoutables voisins du Rhin ; sans même parler des brutalités périodiques de ceux-ci, — telle l’affaire Schnaebelé en 1886, — le besoin d’assurer ses derrières pour garder sa liberté d’esprit dans l’œuvre coloniale obligeait notre Gouvernement à ne négliger aucune occasion de causer avec l’Allemagne. De son côté, la Wilhelmstrasse s’essayait de temps à autre à nous séduire par quelque vague ouverture afin de conciliation, dans l’espoir plus ou moins conscient de nous brouiller avec la Grande-Bretagne et de nous asservir aux subtiles combinaisons de son naissant impérialisme ; il en fut ainsi notamment, bien avant les célèbres tractations de 1909, en 1884 et en 1898. Mais chaque fois on s’aperçut, en serrant les choses de près, que le sourire cachait quelque venin, que la main tendue était toute prête à redevenir poing, et qu’en un mot, de part et d’autre, on ne pouvait espérer guérir l’inoubliable blessure de 1870. On vécut en paix sans doute, mais dans l’attente continue, d’une rupture, et l’on atteignit ainsi l’aurore du XXe siècle.

À ce moment surgit la question du Maroc, qui fut comme le confluent de tous nos efforts antérieurs, en même temps que le prologue du drame final. Plus heureuse que ses devancières, et parce que l’opinion publique s’était enfin formée à la conception de nos intérêts coloniaux, l’action gouvernementale s’étaya en cette affaire sur le consentement presque unanime du pays. Elle s’appuya, d’autre part, sur le concours effectif des alliés de Russie et des amis d’Angleterre. Elle y trouva matière à préparer le détachement de l’Italie de la Triplice. Et les péripéties souvent critiques de l’aventure, — Tanger et Agadir surtout, — furent pour la nation tout entière comme autant de coups de canon de semonce annonçant le danger prochain, autant de révulsifs et de stimulants réveillant peu à peu le patriotisme