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l’affaiblissement graduel de la solidarité qui les avait unis devant le péril commun, tout a contribué à favoriser cette propagande déprimante et à répandre partout cette sorte de lassitude et de découragement qui paralyse la volonté.

Aujourd’hui, voici que sur la pente glissante où elles se sont aventurées, l’Angleterre et la France sont arrivées au bord du gouffre. Les Rouges se sont ouvert la route de Téhéran; les troupes britanniques qui tenaient la position de Mendghil se sont repliées sur Kazvin La Pologne écrasée gémit aux pieds des Bolcheviks. Le gouvernement des Soviets a continué, avec un art supérieur, la partie qu’il avait commencé à jouer pour nous endormir. Il a amusé les Polonais en paraissant accepter un armistice, a refusé l’armistice sous prétexte que les plénipotentiaires polonais n’avaient pas mandat de signer la paix et poursuivi ses avantages militaires. Pendant que M. Lloyd George essayait de s’accrocher aux basques des Bolcheviks, ceux-ci le repoussaient dédaigneusement et lui répétaient, sans qu’il voulût les entendre, qu’ils étaient assez grands pour régler leurs affaires tout seuls et qu’ils s’opposaient à toute médiation. Les Alliés laisseront-ils donc retomber sous la dalle du sépulcre cette Pologne à qui, d’un commun accord, ils avaient dit : « Relève-toi et revis dans la lumière du jour? » De France, d’Angleterre, d’Amérique, de partout, des Polonais exilés étaient venus combattre, aux côtés de nos armées, pour la liberté des peuples et pour la réalisation de leurs propres espérances nationales. Sur les drapeaux qu’avaient offerts à leurs légions les villes de Paris, de Nancy, de Belfort et de Verdun, l’aigle-blanc avait fièrement déployé ses ailes, comme autrefois sur le velours rouge des étendards que portaient les Piast et les Jagellon. Par cette image sensible, les Alliés avaient montré qu’ils prenaient eux-mêmes à tâche la résurrection de la Pologne. Une nation qui, en dépit d’un morcellement criminel et d’une violence prolongée, avait gardé intactes ses traditions et sa langue, qui n’avait jamais laissé étouffer sa voix ou prescrire ses revendications et qui, soit dans l’exil, soit sous la domination étrangère, avait réussi à préserver sa personnalité, renaissait ainsi sous les auspices de plusieurs des puissances belligérantes. Et lorsque la victoire vint récompenser les efforts des armées au milieu desquelles avaient combattu les troupes polonaises, l’Angleterre, l’Amérique, la France et leurs alliés tinrent la parole donnée. Le traité de Versailles consacra l’indépendance de la Pologne et réunit les morceaux que la Russie, la Prusse et l’Autriche s’étaient