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avant tout, une nation loyale, qui a le respect de sa signature et de ses engagements. Elle ne peut prétendre que le traité de Versailles lui ait été imposé par nous. Elle y a fait, sans doute, quelques concessions, bien légères, sur ses vues primitives. Mais, au total, ce traité répond beaucoup plus à sa pensée qu’à celle de la France et il lui réserve des avantages supérieurs à ceux qu’il nous attribue. Le désarmement de la flotte allemande, précédant celui de l’armée, a donné à l’Empire britannique une pleine sécurité maritime. La seule modification importante qui ait été faite aux quatorze points de M. Wilson a trait à la liberté des mers et intéresse directement la politique traditionnelle de la Grande-Bretagne. En vertu d’un phénomène de gravitation qu’eût expliqué Newton, les plus vastes colonies allemandes ont été naturellement attirées par l’Empire britannique. Et je ne parle pas, pour le moment, des bénéfices que le traité de Sèvres va procurer, en Mésopotamie et en Palestine, à nos vigilants amis. Sans même quitter Versailles, nous pouvons constater qu’ils ne sont pas trop mal partagés. Ils ne se plaignent pas, du reste, et ils ont raison. De notre côté, nous ne les envions, pas, Nous sommes, au contraire, heureux de leur bonheur, j’allais presque dire riches de leurs richesses, puisqu’après tout, leur grandeur et leur force servent notre cause commune. Mais, du moins, avons-nous le droit de leur faire amicalement remarquer que, dans un traité où ils ont trouvé, à juste titre, des profits si abondants, se rencontrent certaines clauses qui touchent à nos propres intérêts, et qu’il n’est pas admissible qu’une fatalité singulière les frappe une à une de caducité. L’Empire britannique est gentleman: il a des habitudes séculaires d’honneur et de fair play ; lorsqu’il a apposé, au pied d’une convention, son nom glorieux et magnifique, il ne le relire ni ne l’efface. M. Millerand a cru devoir alléguer, à plusieurs reprises, devant les Chambres, que jusqu’ici le traité n’avait pas été révisé; il ne se méprend certainement pas sur la valeur de cet euphémisme; dans les commissions et à la tribune, tout le monde lui a montré la gravité des concessions qui ont déjà profondément altéré des clauses essentielles; désormais, en tout cas, une ligne est tracée qui ne peut plus être franchie. Le gouvernement est en mesure de dire à nos Alliés, qui ont été élevés à l’école du vieux français : « N’allons pas plus outre. » Plus outre, en effet, ce serait le néant.

Nous serions d’autant plus mal inspirés, les uns et les autres, de ne pas nous tenir étroitement rapprochés dans le cercle de nos