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Le village était vide également. Seule une vieille femme apparut au seuil de sa maison.

— Les uhlans, ma bonne dame ?

— J’ai encore rien vu…

Il fallait en avoir le cœur net. La carabine au poing, et l’auto en marche arrière, je pris la route de Ransart. J’avais l’impression de m’avancer seul « entre deux batailles, » l’une à ma gauche faisant rage vers Arras, l’autre à ma droite vers Hébuterne où les territoriaux continuaient à reculer devant la garde prussienne. Je songeais à cette étrange situation et j’étais arrivé au carrefour Est de Ransart, au pied du Moulin, lorsque je me trouvai nez à nez, à 25 mètres, avec quatre dragons allemands, pied à terre, la bride au bras. J’en abattis un d’un coup de carabine à bout portant, et je repartis « en quatrième » sur la route de Rivière.

Arrivé sur la crête entre Ransart et Rivière, j’arrêtai l’auto et je pris ma jumelle : dix ou douze cavaliers ennemis, à toute allure, fuyaient du Moulin de Ransart vers Adinfer. Je déchargeai sur eux tout ce que j’avais de chargeurs pour ma carabine, et je revins auprès du général de Maud’huy à Aubigny sans avoir rencontra d’autre troupe, entre l’ennemi et lui, que la petite avant-garde d’une brigade de cavalerie venant du Point du Jour et entrant à 15 heures à Beaumetz !…

Quelle chance nous avions eue ! Quelle occasion avait perdue la cavalerie allemande !…

A 16 heures 30, j’arrivais, très en retard, dans la salle du poste de commandement d’Aubigny où je fis mon rapport devant le général de Maud’huy, le général Drude et un lieutenant-colonel représentant le général Joffre. Et j’eus, pour finir, le toupet de trouver la « situation plutôt favorable… »

D’autres officiers de liaison revinrent du corps provisoire et du corps de cavalerie. Alors, il se tint un petit conseil de guerre, d’où il sortit à 18 heures 30 les ordres pour la nuit du 5 au 6 et la journée du 6.

Le 10e corps d’armée devait maintenir ses positions et économiser le plus possible de forces sur son front pour reconstituer des replis en arrière de sa droite jusqu’à Gouy-en-Artois (15 kilomètres Ouest d’Arras).

Le corps provisoire (à l’exception de la division Barbot qui devait abandonner Athies et Feuchy et tenir le front déjà