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vaillamment la neige d’hiver ! Comme ils me figuraient bien l’immensité ! Ce sont eux qui m’ont conduite en Orient, à la suite de mon histoire sainte : je voyais réellement les forêts du Liban dont parlait mon Ancien Testament : pour aider la vision, devant le cèdre, je louchais afin de voir double, et je rêvais d’une voûte qui serait toute bleue ; je n’en doutais pas, c’était par une voie semblable que la magnifique reine de Saba se rendait chez le non moins magnifique Salomon ; à moins qu’elle ne passât par la forêt d’abricotiers des portes de Bagdad ; maman avait justement lu devant moi à bonne maman un passage des Mille et une nuits où il était question de cette forêt, et je les avais suppliées toutes les deux de multiplier l’unique abricotier de notre jardin ! Enfin, je ne sais pas quel diable d’itinéraire je faisais suivre à cette pauvre reine de Saba, mais c’était la faute de ce cèdre qui m’affolait d’espace, d’idées de cortèges et de caravanes.

Bon papa m’avait dit qu’un grand poète avait habité ce chalet.

Encore deux pas et nous étions au bout de l’avenue : bon papa s’asseyait volontiers sur un banc, en face du parc de la Muette. Il était alors défendu par un large saut de loup, bordé d’une simple balustrade de fer peinte en vert. On vient de le combler, et plusieurs rangées d’épais arbustes, hâtivement plantés, les uns contre les autres, sans choix et sans grâce, dérobent à la vue le parc où se promena jadis Marie-Antoinette. Combien plus symbolique était le grand et simple fossé qui séparait du royal jardin le trottoir de tout le monde !… Je m’appuyais à cette humble balustrade, et je regardais, au printemps, les violettes qui fleurissaient au fond du fossé, sûres de n’être pas cueillies ; à l’automne, les marrons que le vent y avait poussés ; une fois, un petit chat y errait éperdument, miaulant et cherchant une issue ; sa situation me parut dramatique ; je le voyais déjà mourant de faim et de soif ; je lui tendis mon cerceau pour l’aider à grimper ; je réclamai l’intercession de bon papa, qui vint voir, mais qui se rassit placidement en déclarant qu’un chat se tire toujours d’affaire quand il s’agit de grimper ou de sauter, mais qu’il attend le moment où personne ne le voit, sa dignité ne lui permettant pas de manquer son coup en public.

Une autre fois, je laissai tomber la baguette de mon cerceau