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aussi étais-je priée de m’en écarter comme d’un lieu malfaisant ; on y accédait de la cuisine par un petit escalier noirâtre et une porte funèbre ; je n’ai jamais su au juste si le croquemitaine dont on me menaçait devait arriver, le cas échéant, par cette petite porte maudite ou bien par le cabinet noir où maman pendait ses robes avec une mystérieuse symétrie. Je croyais ferme à ce croquemitaine ; mais un jour de grosse sottise où on voulut le faire parler, je trouvai à sa voix une telle ressemblance avec celle de bonne maman que je le supposai semblable au reste des hommes et qu’il ne me fit plus peur.


I. — LE PERRON ENCHANTÉ

Si je me suis attardée à ce vilain couloir, c’est qu’à l’autre bout, à moins de traverser la maison, on débouchait en pleine clarté, en pleine lumière, en plein soleil, dans le jardin. Oh ! mon cher jardin d’enfant ! Que je t’ai aimé, que je t’ai trouvé beau, varié et immense, simplement parce que je te remplissais de moi-même, de mes sottises, de mes petites idées et de mes grands désirs, de toutes ces choses que « mes mamans » dans la maison, prétendaient endiguer, canaliser, classer, et qui se donnaient libre cours entre tes murs étriqués que ma fantaisie repoussait à l’infini !

Et d’abord, dès le seuil de la salle à manger, c’était le perron enchanté.

N’allez pas vous imaginer quelque perron à double escalier, gracieux comme un bras arrondi, ou quelque rampe de fer forgé, harmonieusement enroulée en rinceaux. Point du tout ; c’était un bête de perron, un petit palier carré d’où descendaient, sur le côté, bien droites, sept marches de pierre, avec une rampe de fer aux barreaux unis, sans prétention, et qu’on repeignait de temps en temps. Mais tout cela disparaissait sous un fouillis merveilleux de jasmins et de rosiers qui m’ont donné pour toujours le goût des odeurs fortes ; ce jasmin partait d’un petit bout de bois noir, comme tous les jasmins, un petit bout qui ne disait rien qui vaille, et qui envoyait à tous les autres bouts des merveilles ; le buisson scintillait d’étoiles blanches comme le ciel dans une belle nuit d’août ; et cela, croyez en ma parole d’enfant, toute l’année ! L’hiver n’a pas tenu de place dans mes souvenirs ; je l’ai supprimé ; le jasmin fleuri a présidé