Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
revue des deux mondes.

une colonie prussienne, jugeant que l’intervention du Reichstag pouvait être gênante dans la terre d’Empire.

En France, la question d’Alsace-Lorraine était restée toujours ouverte. Après l’éloquente protestation de Bordeaux en 1871, le silence officiel s’était fait. Les ministères s’étaient succédé, aux tendances les plus diverses : aucun n’avait cru pouvoir assumer la responsabilité, ni de réclamer ouvertement la revision du traité de Francfort, ni d’affirmer qu’il admettait toutes ses conséquences. Aucun parti politique, si avancé qu’il fût, n’osait s’incliner devant le fait accompli et déclarer qu’il était négligeable dans l’ensemble de l’évolution sociale. L’illusion de l’internationalisme voyait la solution du problème par la suppression des frontières, mais aucune voix ne s’est élevée pour proclamer que l’Alsace-Lorraine devait rester allemande. C’est en vain que Guillaume II, dès son avènement, disgraciait le prince de Bismarck et s’efforçait de se rapprocher de la France. Le gouvernement de la République, reprenant les traditions de la Restauration, contractait une alliance défensive avec l’autocrate de toutes les Russies aux acclamations de la France entière. Ni dans la politique coloniale, ni dans les questions économiques et financières, la communauté d’intérêts la plus évidente ne rapprochait la France de l’Allemagne. Toute tentative dans cette direction eût été l’objet de la réprobation nationale. Le régime de la paix armée s’était établi et durait entre les deux nations, quelque lourd qu’il fût à porter.

Le fantôme de l’Alsace-Lorraine planait sur le monde, remords que rien ne pouvait écarter. Depuis les traités de 1815 la Sainte-Alliance s’était effritée. Jusqu’au traité de Francfort, en 1871, les seuls changements à la carte d’Europe s’étaient faits sur le principe du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : la Belgique s’était créée grâce à l’intervention des armes françaises au service d’une cause nationale ; en 1859 aussi c’est à la suite de la même intervention que l’unité italienne s’était fondée par acclamation populaire ; la réunion du comté de Nice et de la Savoie à la France avait été proclamée par un plébiscite ; en 1864, l’union du Schlesvig-Holstein à la Prusse n’avait été admise que sur la promesse de la même ratification par l’Europe indolente, qui n’exigea jamais l’exécution du traité de Prague. En 1866, l’annexion de la Vénétie à l’Italie nécessita la même consultation. Le traité de Francfort marquait donc une régres-