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esprit devant deux bigoudens farouches, interdites, — justement l’une de celles dont l’habit présente la superbe variante : noir et argent.

Le rang de mendiants est toujours là. Jusqu’à la fin de la réunion, pendant, après la procession, durant les jeux, les danses, ils resteront à leur place, qui est toujours devant le porche, où ils dévident leurs patenôtres. Il y en a même un que je n’avais pas encore vu : un être extraordinaire, plié en deux, le corps horizontal, porté par derrière sur deux jambes noires, en avant sur deux bras armés de brèves béquilles. Une espèce de quadrupède. Mais sa face humaine est levée, décrépite, pitoyable, embroussaillée sous une tignasse de fakir, qui est restée noire (ils blanchissent difficilement, les cervelles sont si paisibles ! ). Est-ce pitié plus grande pour cette excessive misère ? ou bien celle-ci fait-elle plus puissantes ses oraisons ? Certainement, il reçoit plus que les autres. Les gens se dérangent pour aller lui donner, même deux pauvres vieilles qui ne semblent que de quelques degrés moins dénuées que lui. — Derrière eux, sur la petite digue à demi crevée qui ne défend plus la chapelle contre les assauts de la mer, vingt mirifiques marmots sont assis en plein soleil, et l’on dirait un rang de pots de fleurs.


La procession, pour finir, annoncée par des volées de cloches, par le soudain émoi qui traverse les groupes et, les jetant devant le porche, les mêle au flot plus épais, plus noir, plus doré qui vient bouillonner à l’orée de la voûte. Alors les lumières qui sortent, — des flammes jaunes, si petites dans le grand jour ; et puis, par-dessus, jusqu’en haut du cintre, un remuement de choses bleues, de vacillants drapeaux, comme des oiseaux qui hésitent, éblouis, avant de prendre leur volée. Des fillettes les portent, plus graves, magnifiques, plus anciennes que les mères. Et puis la théorie des bannières, des saintes figures suspendues, avec les hautes croix d’argent.

Et les voilà qui se rangent, s’espacent, voilà la procession partie, aux rrran, rrran du tambour, au sourd piétinement de la multitude. Ils vont décrire un grand circuit entre les petits talus de galets, entre les prés où sèchent des tapis de varechs. Jusqu’à ce qu’ils reviennent, l’antique chapelle va rester seule