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pas très bien, d’abord, ce qui se passe. Là-bas, dans le fond, on remue des choses blanches, je ne sais quel vague linge.

Un jeune homme en casquette de pilotin m’a renseigné :

— C’est des gas de chez nous, de Kérity, qu’ont fait un vœu : alors, comme de juste, ils sont à se mettre en tenue.

Ah ! oui, je sais : les rescapés de la tempête d’octobre, ceux dont j’ai vu le bateau crevé, parmi trente autres, dans la baie de la Torche, l’automne dernier, quelques jours après le désastre. Ceux dont parlait une lettre du recteur qui me fut communiquée. Au petit matin, arrivant de la Torche, ils étaient venus le trouver, trempés, tout étourdis encore, quelques-uns sanglotant, pour lui demander de leur ouvrir la Chapelle. Ils criaient : « Nous avons la vie sauve !… Nous voulons remercier Notre-Dame de la Joie !… » Le mousse a demandé la permission de monter sur l’autel : « J’ai promis d’embrasser Madame Marie si elle nous sauvait ! » Son père criait : « Oui, fils, embrasse-la bien ! Merci, Notre-Dame de la Joie ! Nous croyions ne plus te revoir. Maintenant, allons à Kerity pour remercier Monsieur Saint Pierre ! »

Dans l’instant du péril, ils ont fait un autre vœu : suivre en groupe Notre-Dame à sa procession, le jour du Pardon. Pour un tel rite, la tenue commandée par la coutume est encore celle qui signifiait, au moyen âge, l’humilité religieuse : nu-tête, déchaux, en chemise, une cire de tant de livres à la main.

Seulement, aujourd’hui, les mœurs, tout de même, ayant un peu changé, par décence on passe un pantalon de linge, mais les pieds sont nus, et le haut du corps se dépouille vraiment de tout ce qui n’est pas la chemise. Dans les grands Pardons, à Kumengol, a Sainte-Anne de la Palue, on voit des hommes des campagnes qui sont venus à pied de loin, chapelet et bâton à la main, en ce rudimentaire vêtement.

J’ai pu approcher, et je les vois qui se déchaussent : deux hommes d’une cinquantaine d’années, deux jeunes et le petit mousse. Les deux anciens ont des gestes lourds et lents, ceux des marins qui ont passé leur vie à peser sur des drisses et haler des casiers. L’un est tout glabre et chauve, sauf deux touffes de cheveux aux deux côtés de l’occiput ; son maigre visage ascétique a le ton du buis ; sa bouche serrée doit rarement s’ouvrir. Au milieu de tout ce monde, il regarde d’en bas, tristement, du profond de l’orbite creuse. Je devine le bleu pâle, usé, de ses