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cette rumeur continuelle. Petite voix patiente, qui semble dire, à qui saurait l’entendre, les souvenirs et les secrets de cette terre.

Le chemin vert monte à gauche entre deux rangs de petits hêtres, — une de ces avenues énigmatiques, comme on en voit partout dans la presqu’île bretonne, qui commencent et finissent au milieu des prés déserts, et dont personne ne peut vous dire la signification. Derrière la chapelle, un groupe de châtaigniers pourrait être un vestige de quelque parc. Nulle présence humaine, et partout la trace de l’homme. C’est un trait qui revient toujours, et qui compte pour beaucoup dans la mystérieuse physionomie de ce pays.

Des nuages montent. Ils sont là, derrière le champ de genêts qui se lève et finit à deux cents mètres d’ici sur le vide, hérissant l’espace de ses fouets noirs que le vent tourmente.

Longuement le vent bruit sur le plateau : profonds soupirs, coupés d’émouvants silences. Ces quelques arbres frissonnants, ce chemin vert qui suit la lande, labouré d’ornières qui semblent d’une autre année, ces buissons remués, tout près, sur une sombre vapeur rampante, ce paysage si intime et si petit, où la terre se réduit aux quelques champs d’une invisible ferme : n’est-ce pas tout l’essentiel de la Bretagne ? Dès qu’on entre dans ce pays, que ce soit en suivant la Manche ou du côté de l’Océan, on retrouve ces accords. C’est comme une musique de tonalité singulière, entendue déjà dans un monde antérieur. Comme elle vous prend tout de suite, et comme elle vous emporte loin !

Mais elle ne chante pas haut. Il faut être seul, il faut faire en soi le silence pour l’entendre…


ANDRE CHEVRILLON.