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gagné, disent-ils, d’un coup de cartes, par un officier de l’ancien temps. J’imagine une partie d’hombre entre jeunes gentilshommes viveurs au service du Roi, avec des flacons sur la table.

Le voici tel qu’il devait être alors, long, blanc, sous un grand toit d’ardoise, et la justesse de ses proportions m’évoque la vieille France civilisée, celle d’avant le romantisme, qui avait encore un style, quand personne, pas plus les architectes que leurs clients, ne rêvait encore de chalets, kiosques ou donjons, de combinaisons inouïes de clochetons et vérandas, ni de promontoires ou falaises où attester, à cinq lieues à la ronde, un besoin sans pareil de tête à tête avec l’infini.

Sous la blanche maison, des orangers, en des caisses vertes, s’alignent simplement. On voit des allées bien ratissées, de belles pelouses, des dahlias, des hortensias, de rouges roses d’automne. On pressent la douce odeur recluse, un peu confite, qui flotte là. Et tout cet ordre végétal, ce luxe de fleurs en ce lieu désert qu’enveloppent des halliers, près d’une plage hantée par des oiseaux de mer, tout cela fait un peu songer aux histoires du bon Perrault. Une baguette de fée s’est levée là, jadis, sur la lande ; un château, de beaux arbres ont surgi, des floraisons qui ne meurent jamais. Tout s’est disposé de soi-même pour le plaisir des yeux. Et depuis lors, tout semble attendre, attendre à travers les années de silence, de brume, de pluie, de deux soleil breton, — les années qui ramènent toujours le même cercle des saisons, sans amener jamais le Prince Charmant.

Un peu plus loin, l’autre castel, plus romanesque, d’un gothique un peu 1830, — heureusement, peut-être, moins visible. Mais alentour, un pire incomparable couvre les pentes : des arbres de Trianon, des conifères bleus, des mélèzes qui rougissent avec l’automne, des hêtres pourprés, des érables couleur de sang, des noyers séculaires, et, noblement isolés, de grands cèdres noirs sur des pelouses. On dit dans le pays que les plus rares essences de ce beau parc furent apportées « des Iles, » dans l’ancien temps, quand il n’y avait là qu’un manoir, par un officier de vaisseau, sensible lecteur, j’imagine, de Paul et Virginie.

C’est en juin que j’ai visité pour la première fois ce domaine, au moment des rhododendrons en fleur. En cette saison surtout, il est fabuleux. La bretelle du fusil à l’épaule, un garde-chasse me conduisait, de visage aussi breton que son