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à Bône, à Philippeville, ailleurs encore. Cependant l’image de l’Afrique latine est lente à se dégager de ces notules et de ces monographies, de cette poussière des petits musées locaux.

Il fallut la secousse de la conquête tunisienne pour intensifier le mouvement archéologique, dégager les conclusions générales des résultats obtenus, et amener en quelque sorte l’érudition africaine à dresser son bilan. A mesure que nos armées s’avançaient, s’étendaient dans toute l’Afrique du Nord, les spécialistes de l’archéologie voyaient, s’étendre en même temps les limites de leur domaine Ils prenaient une idée plus juste et plus profonde de l’Afrique latine. Pendant les vingt dernières années du XIXe siècle, une équipe de jeunes érudits, formés aux bonnes méthodes, pleins de science et d’ardeur, assuma la tache de ressusciter cette Afrique du passé, en exécutant des fouilles nouvelles, en poussant ses investigations dans des régions encore inexplorées, en inventoriant dans des recueils spéciaux les richesses des musées ou des produits des fouilles, — enfin en donnant de l’Afrique romaine une description aussi embarrassante, aussi précise et aussi minutieuse que possible. Ce fut le beau temps des missions archéologiques africaines, où s’illustrèrent les Babelon, les Salomon Reinach, les Cagnat, les La Blanchère, les Waille, les Gauckler, les Toutain.

Tout cet énorme labeur s’est pour ainsi dire concrété dans l’œuvre bénédictine de M. Stéphane Gsell. Depuis trente ans et plus, ce grand savant parcourt l’Algérie et la Tunisie, à la poursuite du romain, du grec, du punique, voir du liby-phénicien et même du préhistorique. Il a fait des fouilles un peu partout. En tout cas, il ne s’en exécute aucune, tant soit peu importante, qu’il ne se trouve là, son carnet ou son mètre à la main, notant et mensurant jusqu’à la courbe d’une tuile ou l’orifice d’une conduite d’eaux. Les villes mortes qui ressuscitent le voient penché au bord de leur fosse devenue leur berceau. Il est le parrain de ces vieilles « nouveau-nées. » C’est lui qui établit leur état civil. Il en connaît les moindres cailloux. Et non seulement il a tout vu de ses yeux, tout palpé de ses doigts, mais il a tout lu, — tout ce qu’ont pu écrire les anciens et les modernes sur ces ruines et ces antiquités dont il a la garde, sur cette Afrique ancienne, dont il connaît la géographie civile et militaire comme un procurateur des Césars ou un légat de la IIIe légion.