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essaie de confronter un temple latin avec une mosquée : la comparaison est désastreuse pour celle-ci. Ce n’est plus qu’un tas de plâtras devant cette eurythmique ordonnance de matériaux durables et choisis, devant le profil intelligent de ce fronton et de ce péristyle, dont le seul aspect est comme un affranchissement de la pensée, en même temps qu’une volupté pour la vue.

Le voyageur, qui a parcouru les ruines de quelques-unes de ces villes mortes, en arrive à se persuader qu’on n’a rien fait de mieux en Afrique, qu’elles sont les témoins d’une période de civilisation incomparable. Cette période de six à sept cents ans, où Rome fut maîtresse dans ce pays, lui apparaît comme le siècle d’or africain. Cette Afrique romaniste, c’est, pour nous Latins, le paradis perdu, — une longue étape de l’histoire, pendant laquelle Rome et la Grèce, la vieille Égypte même travaillèrent à une œuvre commune avec l’Africain, sur le sol de l’Afrique, où fut conclue avec l’indigène une alliance à la fois politique, intellectuelle et religieuse, que l’Islam a rompue et que nous nous efforçons péniblement, depuis un siècle bientôt, de renouer.

En tout cas, ces villes mortes, par l’importance et la beauté de leurs ruines, par leur nombre surtout, semblent former l’armature du vieux sol africain. Leur chaîne ininterrompue le sillonne d’un bout à l’autre comme la chaîne même de l’Atlas. A voir leurs débris pour ainsi dire indestructibles, on est tenté de conclure que l’Afrique est latine dans ses vertèbres et dans ses moelles : ce qui n’est pas vrai. Mais, pendant une suite de siècles, la latinité l’a profondément pénétrée, et elle n’a jamais connu, en somme, d’autre civilisation que la civilisation gréco-latine.

On s’explique mal, d’après cela, l’erreur de perspective commise par ceux de nos littérateurs qui nous ont donné d’elle l’image la plus brillante, la plus minutieuse, sinon toujours la plus exacte, — un Fromentin ou un Flaubert. Ils ont mis au premier plan le décor oriental, et, tout en faisant avec sagacité la part de ce qui est strictement local, ils ont prêté à l’apport du Turc, de l’Arabe, ou du Phénicien une importance excessive. Ils ont attribué à on ne sait quel vague Orient ce qui est, au fond, grec ou romain, ou berbère romanisé. Nous autres Latins nous avons tellement évolué depuis ce que nous appelons l’antiquité romaine, — les mœurs, et les formes qui s’y rattachent sont