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magnifique. C’étaient les seules créatures humaines du paysage, — et comme elles s’y harmonisaient ! Ce groupe muet traversant la rivière y était aussi naturel et beau qu’une flottille d’oiseaux marins.

S’en allaient-elles à quelque mariage ou baptême ? De lointaines sonorités de cloches s’espaçaient, tandis que nous glissions devant l’anse de Combrit, qui venait de s’ouvrir. Cela semblait flotter, couler dans le ciel et sur les eaux, en pures ondes musicales. Et justement, au fond de la nouvelle perspective, affleurant à peine à l’écran des pins, nous aperçûmes le coq et le fleuron d’un clocher, — impossible à découvrir parmi toutes les franges noires, si l’on ne savait pas qu’il est là, — seul signe du monde vivant qui se disperse en de rares villages, derrière les longs bois de la rivière.

Elle a près d’une lieue de profondeur, cette anse : les promontoires s’y succèdent comme de grandes corbeilles de feuillages, mesurant les distances, la pourpre des hêtres superposée au vert intense des pins. C’est l’une des plus sauvages de la rivière. Je n’y ai jamais vu que des hérons perchés à marée basse sur les vases, et qui, soudain, s’enlèvent, jambes pendantes, au battement souple et sans bruit de leurs longues ailes. Le soir, si le ciel s’enflamme, on pourrait se croire hors d’Europe, devant certaines pointes surtout, où des gerbes de pins fusent en divergeant sur le rouge du couchant comme des bouquets de cocotiers, — chaque gerbe reflétée avec tout ce rouge, sous le noir de la rive, en parfaite image symétrique.

La mer avait fini de monter, comme nous passions devant l’entrée de ce nouveau fjord. C’était l’instant immobile, celui de sa plénitude accomplie, en ces grands réservoirs. Rien ne restait des herbiers et des grèves. Il n’y avait plus entre les bois que cette eau vierge, profonde, et qui semblait dormir. Mais dans sa transparence obscure, çà et là, de tournoyantes algues la révélaient vivante.


Plus haut, dans le grand chenal qui va se rétrécissant vers les Virecourt, des châteaux se découvrent, des châteaux où je n’ai jamais vu signe de vie, et que l’on pourrait supposer clos depuis la Révolution. L’un des premiers est celui que les marins appellent Beaujeu (ce n’est pas son vrai nom), parce qu’il fut