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culte de la force brutale, le sophisme diabolique qui des paroles tombe dans les actes ? C’est contre ces violences, les mêmes dans tous les temps, — qu’il s’agisse des Plantagenets ou des Hohenzollern — que la figure de notre Jeanne d’Arc s’est levée jadis « casquée et cuirassée ». Figure française s’il en fut et qui s’entoure si naturellement de nos héros nationaux, de Saint Louis à Saint Vincent de Paul et de Saint Vincent de Paul à Marceau ! Un diplomate allemand quittant Paris me demandait, un jour, ce qu’il fallait reporter à l’empereur Guillaume. Je répondis : « Qu’il lise la vie de Saint Louis ! »

Ce qu’il importe de persuader au monde, en effet, c’est que les guerres « fraîches et joyeuses, » les offensives « de grand style » ne mènent à rien. Hohenzollern ou Soviets, ces violents se trompent… Si, seulement, ils ne nous faisaient pas payer’ leurs erreurs !

Nous nous retrouvons, au lendemain de la canonisation de Jeanne d’Arc, dans les grands troubles qui suivent les grandes guerres. Eh bien ! c’est l’heure de prendre, avec fermeté et sang-froid, les précautions nécessaires pour que ces agitations ne se développent pas jusqu’à la catastrophe. Que tous les agents du bien s’unissent pour aider la charité du monde à passer ces heures difficiles.

Que feront, demain, les mainteneurs de la paix ? Ils se sont réunis en une Société de magnifique espérance verbale. Ils accumulent des protocoles, scellés de bonne foi et cousus de bonnes intentions. Mais, à défaut de la force, s’ils n’ont pas l’influence morale, que peuvent-ils ?

Je les ai suivis depuis Versailles. Je les ai retrouvés à Rome. De leur salle de délibération, ils ont pu entendre la sonnerie des cloches saluant la sainte guerrière… Et comme plusieurs d’entre eux étaient parmi nous, je me demandais si, eux aussi, n’étaient pas convaincus, devant un tel spectacle, qu’il y aurait quelque grandeur pour la France à reprendre son rôle séculaire, à se faire le grand agent de l’Universel et à rechercher, avec sa passion et son action ordinaires, cette large pacification des peuples et des âmes à laquelle le monde aspire et que Rome, en canonisant la Française Jeanne d’Arc, recherche elle-même dans l’idéal qui est le nôtre ; — le triomphe des vertus actives et du patriotisme désintéressé.


GABRIEL HANOTAUX.