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et bureaucratique ; avec les âges, c’était une juridiction plus haute et plus universelle qui devait être saisie.

Il est remarquable que l’Eglise catholique elle-même, si ferme en sa hiérarchie, exige, en premier lieu, pour ouvrir ses enquêtes de béatification, la constatation d’un mouvement populaire préalable.

Mgr Boudinhon, se référant à l’ouvrage de Benoit XIV qui fait loi en la matière, dit : « Tel est le point de départ de toute cause de béatification ou de canonisation : la conviction répandue dans une partie de l’Eglise que telle personne est digne d’être rangée au nombre des élus : qu’elle est morte, suivant l’expression consacrée, en odeur ou réputation de sainteté, motivée par ses vertus exceptionnelles et sa sainte vie. On voit ainsi reparaître la cause des primitives canonisations dues à la voix populaire. »

L’Eglise est toujours attentive à ces mouvements spontanés des foules. Souvent elle ne fait que les suivre, comme si elle pensait qu’en ces matières, le peuple a des illuminations qui éclairent la science et la sagesse elle-même. Vox populi vox Dei.

J’ai sous les yeux les enquêtes qui ont eu lieu lors du procès de béatification de Jeanne d’Arc. La première partie de ces enquêtes est consacrée exclusivement à la constatation de ces manifestations instinctives des masses. Ce sont des femmes, des enfants, des religieuses, des hommes simples, commerçants, voyageurs, français, étrangers qui ont à répondre à cette interrogation, primant toutes les autres : « Que savez-vous de Jeanne d’Arc ? » Et la plupart répondent, en effet, dans les termes les plus simples : « Je sais qu’elle était pure ; — Je sais par ouï-dire qu’elle a sauvé la France ; — Je sais bien qu’elle a eu des révélations, qu’elle était vierge et femme de bien. »

Cela suffit. Aux hommes de bonne foi, on ne demande pas davantage. La foule dit ce qu’elle sait et ce qu’elle sent, comme elle sait et comme elle sent.

Ce n’est qu’après que le débat se précise. Ceux qui ont appartenu au même idéal, à la même cause que le membre de l’humanité qui est en instance, interviennent. Quoi de plus naturel ?

Les premiers tenants de la sanctification de Jeanne d’Arc furent les habitants d’Orléans — et à leur tête, l’évêque de la cité, — qui célébrèrent la fête de Jeanne sans discontinuer depuis le siège ; ensemble, ses adhérents, ses soldats, ses compagnons