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formation, de la mission, de l’abandon et de la condamnation, joignons celui du grand fait qui vient de s’accomplir sous nos yeux, la canonisation.


I

Le culte des ancêtres, et en particulier le culte des grands hommes, est inhérent à toute société humaine. Ces sociétés ne sont pas d’un jour : elles remontent le plus haut qu’elles peuvent dans leur passé et se prolongent le plus loin qu’elles peuvent vers l’avenir. Les monuments consacrés aux morts illustres couronnent les capitales de la civilisation. Les Panthéon, les Westminster Abbey gardent, pour les générations futures, le souvenir glorieux des âmes bienfaisantes.

Aux États-Unis, la mémoire de Washington, mort depuis un peu plus d’un siècle et qui, par conséquent, n’a rien de légendaire, est présente dans toutes les grandes circonstances. Son corps est conservé sur les rives du Potomac et il est salué par les navires et par les passagers qui montent et descendent le cours du fleuve.

Quand, il y a huit ans, à la tête d’une mission qui allait célébrer en Amérique le souvenir d’un autre fondateur, Champlain, je fus reçu par le Président de la République, M. Taft, il ne crut pouvoir me faire un plus insigne honneur que de m’autoriser à pénétrer dans la tombe de Washington. Au nom de la France, je déposai une palme sur le tombeau de l’ami de Lafayette. A peine avais-je pénétré dans l’étroit caveau qu’une atmosphère d’au-delà me saisit : c’était le souffle venant de la tombe du héros, celui des vertus auxquelles aspire religieusement l’âme américaine : le courage, la persévérance, l’esprit de bienveillance et de justice, la modération. Je me trouvai dans la communion immédiate de l’être disparu, beaucoup plus intimement même que dans les chambres de Mount Vernon où les reliques et les formes de sa vie matérielle sont conservées. Tant est supérieure à tout la puissance de l’Idée ! Les mérites du grand serviteur de l’humanité fleurissaient dans ce sombre asile. J’étais face à face avec son essence même. De ces courtes minutes, j’emportai une impression ineffaçable ; car j’avais subi l’autorité de ces sentiments-forces, moteurs puissants de toute activité humaine.