Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La première est de Sainte-Beuve. Après avoir écrit son article, Sainte-Beuve eut la chance de rencontrer le marquis de Jaucourt, ancien ministre d’État, et, qui avait connu Barnave. M. de Jaucourt dit à Sainte-Beuve : « Barnave ne vit jamais la reine. C’est du Port qui la voyait, au nom de Barnave. » De sorte que Barnave a pu attester qu’il n’avait jamais mis les pieds au Château. Quel bonheur ! Seulement, Barnave a dit un peu plus : qu’il n’avait jamais entretenu la plus légère correspondance avec le Château. Sainte-Beuve lui-même le constatait ; et il disait : « Malgré tout, le sentiment moral persiste à souffrir d’une dénégation si formelle. » A présent, la publication de M. de Heidenstam prouve que le marquis de Jaucourt avait été induit en erreur et que Barnave a mis les pieds au Château bel et bien. La première explication, tant pis pour elle !

La deuxième ? Elle est de M. Welvert qui la trouve si bonne qu’il s’étonne très gentiment que miss Bradby ne l’ait pas inventée avant lui… Qu’est-ce que le Tribunal révolutionnaire demandait à Barnave ? S’il avait eu des relations avec la reine ? Non : s’il avait eu des rapports avec la Cour ou les agents de la Cour. Qu’est-ce que c’est que la Cour ? « Ne peut-on pas admettre que, par les mots la cour et ses agents, il s’agissait, dans la pensée de Barnave tout au moins, de cet entourage si néfaste qui poussait le roi et la reine à la contre-révolution ?… Barnave pouvait répondre à Dumas, sans paraître jouer sur les mots, qu’il n’avait pas eu de rapports avec les personnes qui faisaient le fond de la Cour, les conseillers habituels et trop écoutés du roi et de la reine. » Sans paraître jouer sur les mots : peut-être. Mais, sans jouer sur les mots : non, certes ! Voilà un révolutionnaire qui a été en correspondance et très secrète avec la reine : et vous admettez que, sans jouer sur les mots, il affirme qu’il n’a pas eu la plus légère correspondance avec la Cour ? Parce que, la reine, ce n’est pas la Cour ? A votre place, j’aimerais mieux consentir que le cher Barnave eût menti, plutôt que de lui prêter une fourberie de ce genre.

Mais vous supposez qu’il s’est trompé, de la meilleure foi du monde, sur le sens que Dumas donnait à ce mot, la Cour ? Il n’était pas un tel enfant, d’une telle ingénuité. Vous supposez que Dumas, par ce mot, la Cour, entendait les gens de la Cour, à l’exclusion de la Reine ? Eh ! bien, votre Barnave n’a-t-il pas eu des relations avec les gens de la Cour, et ne fût-ce qu’avec M. de Jarjayes, qui était l’intermédiaire ou le facteur entre la Reine et lui !… Et encore resterait-il que Barnave dit, dans sa plaidoirie, que jamais il n’a mis les pieds au