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pleurs, et conserva l’idée la plus favorable de l’élévation des sentiments de ce député. » Cette Mme Campan, qui a la tête romanesque, fait de Barnave un héros de roman. Ce n’est pas du tout ça ! M. Welvert a bien raison de refuser les balivernes de cette institutrice.

Je ne crois pas qu’il ait également raison de refuser une anecdote que raconte M. de Fontanges. Cet archevêque de Toulouse a laissé une relation du voyage de Varennes ; et Fontanges n’était pas allé à Varennes : mais il assure qu’il tient ses renseignements de la Reine, Il raconte qu’à l’arrivée des trois commissaires de l’Assemblée nationale, Marie-Antoinette pria qu’on ne fit monter dans sa berline que le seul Latour-Maubourg, lequel refusa, en disant qu’il fallait gagner la bienveillance de Barnave, « que sa vanité s’était flattée d’être dans la voiture du Roi, qu’il était important pour le service de Sa Majesté qu’il y fût. » La vanité de Barnave : c’est ce que n’admet pas M. Welvert ; et cependant c’est bien le personnage qu’on a vu chez les dames de Broglie, chez Mme de Tessé, auprès de la petite Mme de Beaumont, dans les salons où il joue le petit Néron, le petit sauvage, le révolutionnaire que les aristocrates accueillent avec complaisance, le révolutionnaire qui invente une politique dont la cour lui saura gré.

Mais le voici devant le Tribunal révolutionnaire. L’ignoble Dumas l’interroge. « N’avait-il pas eu de relations particulières avec la Cour ou avec ses agents pendant qu’il était membre de l’assemblée constituante et après ? » Réponse : « Il n’en avait eu aucune, ni avec la Cour, ni avec d’autres agents que les ministres et seulement pour des objets d’intérêt public, etc. » Réquisitoire de Fouquier-Tinville : Barnave aurait été complice de la fuite du roi, au mois de juin 1791, et cette fuite, de républicain qu’il était auparavant, l’avait rendu royaliste. » Réponse de Barnave et sa plaidoirie : « C’est moi, c’est un être entièrement libre, qu’on accuse d’avoir entretenu des liaisons avec le château des Tuileries depuis le voyage de Varennes ? J’atteste sur ma tête que jamais, absolument jamais, je n’ai eu avec le château la plus légère correspondance ; que jamais, absolument jamais, je n’ai mis les pieds au Château. En voici les preuves… » Et il argumente : il est bon avocat. Deux jours après, le 29 novembre 1793, il passait à la guillotine.

Alors, demande M. Welvert, comment se fait-il que Barnave ait si précisément dit le contraire de la vérité ? Voici trois explications, entre lesquelles vous choisirez.