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la Cour et de tous les intrigants qui fréquentaient le château. » Le Roi écoutait avec placidité. La Reine, sans placidité ; elle discutait, et le malheureux Petion note que ses remarques étaient « assez fines, assez méchantes. » Malheureux Petion, parce qu’il est assez clair que la Reine se moquait de lui. Et, si elle se moquait de Petion, c’était afin de conquérir à sa cause Barnave. Lui, Barnave, Petion le gênait ; et il tâchait de ne rien dire ; et, si la Reine l’interrogeait sur l’Assemblée nationale, sur les partis et les hommes qui en étaient les grands hommes, il détournait la tête. La Reine vint à en rire et dit à Petion : « Dites, je vous prie, à M. Barnave qu’il ne regarde pas tant la portière quand je lui pose une question. » Cet enjouement, c’était pour enchanter Barnave. Et, bien qu’il fût un peu royaliste à sa manière, il était assez républicain cependant pour que les égards d’une Reine le pussent aguicher.

A La Ferté-sous-Jouarre, l’on s’arrêta, l’on prit quelque nourriture à la mairie, laquelle avait une terrasse qui donnait sur la vallée où la Marne coule. On attendait le repas. Et Madame Elisabeth, s’étant chargée de Petion, le promenait sur la terrasse. La Reine put ainsi causer avec Barnave. Et le vigilant Petion s’en aperçut ; mais il lui parut que son collègue et la Reine causaient « d’une manière assez indifférente. » Il n’en sait rien, d’ailleurs ; et il le dit parce qu’il ne veut pas avoir l’air d’un sot de qui l’on s’est joué.

Voilà toute la causerie que la Reine et Barnave ont eue ensemble, si l’on en croit Petion. Peut-être faut-il l’en croire ; mais ce n’est pas l’évidence non plus.

Après cela, Mme Campan dit que la Reine aurait eu « quelques entretiens particuliers avec Barnave dans les auberges où elle descendait. » Et il y a une note de la Reine, écrite par elle en tête d’une copie de sa correspondance avec Barnave, où elle dit qu’elle a « beaucoup causé » avec ce commissaire de l’Assemblée nationale. C’est bien possible, et que Petion n’y ait vu, pour ainsi parler, que du feu, ou bien, s’il en a vu davantage, qu’il n’ait pas eu envie de le dire.

Environ quinze mois plus tard, en prison, Barnave écrit : « Je fus l’un des trois commissaires de l’assemblée nommés pour accompagner le roi à son retour à Paris ; époque à jamais gravée dans ma mémoire, qui a fourni à l’infâme calomnie tant de prétextes, mais qui, en gravant dans mon imagination ce mémorable exemple de l’infortune, m’a servi sans doute à supporter facilement les miennes. » M. Welvert nous invite à remarquer « le ton ému » de ces quelques