Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le jeune Barnave jura de « relever la caste à laquelle il appartenait de l’état d’humiliation auquel elle semblait condamnée. » Mais nous ne saurons jamais si Mme Barnave la mère avait droit, ce qui s’appelle un bon droit, à cette loge que réclamait le gouverneur de la province.

Pour exciter les révolutions, il y a d’habitude un certain nombre de garçons très vaniteux et chargés de rancune. Il est possible qu’on s’amuse à les approuver. On peut aussi trouver que les représailles de leur mauvaise humeur coûtent cher à leurs compatriotes.

Sainte-Beuve considère que les personnes qui jugeraient avec trop de sévérité l’incartade de son héros, en temps de calme et du fond de leur fauteuil, prouvent « qu’elles diraient peut-être pis elles-mêmes dans le tumulte et dans l’occasion. » Mais aussi les personnes qui ont trop de ménagements et de bontés pour les révolutionnaires, aux époques troublées, ont l’air de manquer d’imprudence.

Il est vrai que la mort de Barnave « rachète » en quelque mesure ce que sa vie eut quelquefois de pétulant, de fol et d’enragé.

Seulement, voici l’ennui de Sainte-Beuve. Lorsque Barnave comparut devant le Tribunal révolutionnaire, il déclara, il attesta, et sur sa tête, que jamais il n’avait eu aucune relation d’aucune sorte avec la cour et les agents de la cour, et qu’il n’avait pas été en correspondance avec le château, et que jamais, absolument jamais, il n’avait mis les pieds au château. Or, Sainte-Beuve est bien forcé d’y consentir, « il parait certain que Barnave, après le retour de Varennes, accepta et entretint, d’une manière ou d’une autre, quelques liaisons avec la Cour, et qu’il donna plus ou moins directement des conseils. » Voilà Sainte-Beuve « dans une grande perplexité. » Faut-il admettre que Barnave ait menti ? C’est bien pénible ; « mais, tout en s’y refusant par respect pour son caractère moral, on ne sait quelle autre explication trouver, » avoue Sainte-Beuve. Pour conserver intacte sa tendresse, il retourne à glorifier sans chicane ce jeune homme qui, à trente-deux ans, mourut avant d’avoir vu s’avilir ses principales espérances. S’il eût vécu… Sainte-Beuve se dit que Barnave serait devenu sénateur de l’Empire. Mais il écrit en 1850 et ne sait pas encore que cette place est bonne.

Les mémoires du temps font de claires allusions aux relations que Barnave entretint avec la Cour. Mais aujourd’hui la question qui troublait Sainte-Beuve se pose d’une façon plus nette, depuis que M. de Heidenstam a publié, en 1913, la correspondance de Marie-Antoinette, de Barnave et de Fersen. Cette correspondance prouve, à n’en plus