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REVUE LITTÉRAIRE

BARNAVE ET LA REINE[1]

Barnave est généralement considéré, par les amateurs, comme le type le plus parfait du révolutionnaire sympathique. Ce n’est pas qu’il soit sans reproche. Le gaillard qui, le 23 juillet 1789, à propos de l’assassinat de Foulon et de Bertier, comme Lally-Tollendal en montrait de l’horreur, s’écria : « Le sang qui vient de se répandre était-il donc si pur ? » cet orateur est, semble-t-il, de ceux dont l’éloquence a des inconvénients. Mais on répond que ce fut « un mot malheureux. » Malheureux, oui ! l’un de ces mots qui deviennent maximes, et les maximes de la fureur.

Environ trois ans plus tard, ce même Barnave était en prison. Et, comme il avait alors du loisir, il examinait son passé. Il prenait des notes et composait, pour la postérité, des fragments de mémoires et d’apologie. L’idée lui vint d’expliquer son mot célèbre et de l’excuser. Il affirme que nulle qualité de l’esprit ne lui est en plus grande estime que la « mesure ; » et ce n’est point par-là qu’il a brillé le 23 juillet 1789. Mais aussi Lally-Tollendal monte à la tribune ; et l’on s’attendait qu’il parlât de Foulon, de Bertier, de l’état de Paris, de la nécessité de réprimer les meurtres : pas du tout ! Il parle de lui, de sa sensibilité, de son père Je me levai alors. J’avoue que mes muscles étaient crispés… » Bref, pour s’excuser d’avoir fourni à d’ignobles meurtriers une excuse, Barnave raconte que Lally-Tollendal l’avait impatienté. Car il veut qu’un homme et

  1. Le Secret de Barnave, par E. Welvert (E.de Boccard, éditeur).— Cf. Marie-Antoinette, Fersen et Barnave, leur correspondance, par O.-G. de Heidenstam (Calmann-Lévy, 1913).