qu’on ne saurait comparer qu’à celui que nous retracent les récits venus de la malheureuse Russie. » Alcibiade meurt assassiné dans un coin perdu d’Asie-Mineure, et la perte de la patrie accompagne la sienne. Terrible avertissement aux Assemblées soupçonneuses qui persécutent les généraux !
Mais l’essentiel du discours se rapportait à cette partie de l’œuvre de Henry Houssaye, qui, en décrivant la suprême défaite de Napoléon, est consacrée à sa gloire. À cette apparition du grand chef, le général Lyautey rectifie la position et rend les honneurs. « Lorsque, le 15 décembre 1840, le funèbre cortège, après avoir descendu les Champs-Elysées, arriva nu seuil des Invalides, celui qui en ouvrit les portes devant le cercueil annonça, ainsi qu’aux jours de réception solennelle des Tuileries : « L’Empereur ! » Permettez qu’à mon tour, au moment où dans l’œuvre de mon prédécesseur apparaît la grande ombre du héros, j’annonce : « Messieurs, l’Empereur ! »
On a applaudi ce brillant exorde. Henry Houssaye lui-même parlait du grand homme avec moins de solennité. Après l’un de ces dîners chez Durand auxquels assistait le général de Galiffet, entre Houssaye et Vogué, et où ces trois amis échangeaient avec cordialité de libres propos, la conversation vint sur la campagne de 1815. Je vois encore Houssaye, son profil régulier, sa longue et légère barbe grise, la brosse de ses cheveux frisés, sa tête, un peu penchée en avant, le pli qui bridait l’œil et le faisait sourire, le regard lointain et rêveur. Il disait à demi-voix : « Vous le savez, j’aime beaucoup l’Empereur… » Il en parlait comme s’il avait été de sa maison et de son entourage. Le général Lyautey en parle comme ses maréchaux auraient dû en parler.
Il se défend de raconter le grand drame de sa chute et le raconte aussitôt. Mais cette feinte lui a permis de glisser cette petite phrase : « Vous estimerez que seuls ont aujourd’hui le droit de disserter d’art militaire ceux qui ont gagné les batailles historiques. » [C’est à peu près la pensée de Jomini, qui n’osant pas disserter d’art militaire après Napoléon, lui prête la parole et imagine une conversation en quatre volumes où l’Empereur, parlant avec Frédéric et Alexandre, prend à son compte les idées de Jomini.
En deux pages de la plus belle allure, le général Lyautey résume la campagne de 1814, ce double tour de piste que fait l’Empereur, culbutant Blücher sur le côté Nord du manège, Schwarzenberg sur le côté Sud, bouclant le premier tour à Troyes, recommençant sa randonnée, rejetant cette fois Blücher sur Laon, faisant reculer