Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi cruellement que les masses de nos paysans. Et la crise économique de l’après-guerre met en péril, en même temps que la production du livre français, le recrutement même de notre intellectualité.

Toutefois, nous sommes assurés des forces que déjà nous sentons tressaillir. N’essayons pas de définir ce que sera notre littérature de demain. Qui donc, en 1815, eût osé caractériser le romantisme ? Ne nous dissimulons pas, ne dissimulons pas à nos amis que les lettres françaises ne vont pas se cristalliser en mots magiques, définitifs, en formules invariables et lapidaires, mais déferler en un torrent impétueux qui roulera du bon et du mauvais, de l’excellent et du pire. Du cataclysme mondial, toutes les outrances de la réaction et toutes les haines et les paradoxes de l’esprit révolutionnaire vont extraire des motifs nouveaux de croire en soi. Si on nous lit sans critique, on retrouvera chez nous, comme avant la guerre, de quoi s’effarer et nous honnir.

Et cependant, pas de doute que, de tous les débris qui jonchent la terre, de tous les remous qui se combattent dans les âmes, au milieu de toutes les menaces qui ne cessent de peser sur nous, la pensée française va avoir pour souci dominant, pour fonction essentielle, de dégager les disciplines nouvelles d’une France nouvelle.

D’une France aussi différente de celle d’hier que celle d’hier le fut de celle des Capétiens.

La France de Louis XIV, aussi bien que dans les jardins de Versailles, trouva son expression dans notre littérature classique… Nescio quid majus nascitur

De la France durcie par la guerre, grandie mais toujours menacée par une paix imparfaite, où ce qui nous reste de jeunesse a renouvelé sa conscience de l’imprescriptible tradition et sa foi dans notre mission historique, en même temps que sa volonté de lutte et son appétit de joie physique et d’expansion, dont les confins s’étendent de l’Alsace-Lorraine reconquise jusqu’au Sahara, et dont les horizons embrassent les siècles et l’univers, il naîtra quelque chose d’encore indéfinissable, mais qui sera très grand.

Sachons mettre à la portée de nos amis, pour qu’ils y fassent leur choix, selon leur génie, les germes que nous sommes en train de mûrir.