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celle de la parole. Ils organisent pour cet hiver deux cycles de conférences françaises où seront successivement entendus MM. Maurice Barrès, Louis Barthou, les généraux de Castelnau, de Maud’huy et Belin, Mgr Baudrillart, MM. Funck-Brentano, Louis Madelin, etc.

À un tel programme, le préfacier importe peu. Me revoici roulant à travers l’Europe centrale, pour en tenir l’emploi. Bien que la paix soit signée, les communications régulières ne sont pas encore rétablies à travers l’Allemagne. Il faut de nouveau traverser la Suisse et le Tyrol, cette fois étincelant de blancheurs neigeuses. Vienne est dans la nuit, a faim et a froid. Puis ce sont des inondations, de grandes plaines mornes et fangeuses, des forêts dénudées, Varsovie.

Je l’avais quittée par un pluvieux été. Je la retrouve par un dur hiver. Les traîneaux glissent dans les rues gelées par vingt degrés au-dessous de zéro. Il y a de la souffrance ; à un degré plus aigu, toutes les nôtres et, en plus, celles qui naissent de la situation spéciale de la Pologne. Les difficultés de l’ensemencement, la rareté des engrais, les grèves agricoles, rendent angoissante la question du pain et des pommes de terre. Trop d’industries chôment, faute de matières premières et de charbon. Les trains sont presque supprimés. Il faut réquisitionner les appartements particuliers, faute de logements. À toutes les grèves que nous connaissons s’ajoute celle des concierges, qui ne tirent plus le cordon passé dix heures : c’est d’ailleurs le moment où les lumières s’éteignent et se ferment les restaurants. Les incertitudes politiques de l’Entente ne cessent pas d’accroître le malaise. Il y a huit jours, M. Clemenceau faisait de la Pologne la sentinelle de l’Europe contre les Soviets. Hier M. Lloyd George lui a appris que nous allions les ravitailler. Aujourd’hui M. Clemenceau n’est plus rien du tout. Et il me faut répéter indéfiniment que l’avènement de M. Deschanel n’est pas celui du bolchévisme.

Dans la nervosité générale, toute parole qui vient de France ne cesse pas d’être accueillie à Posnan comme à Varsovie avec une chaleur qui va au cœur.

Il y a une joie réelle, de l’émotion aussi, à rendre hommage à travers les siècles à ce que la Pologne a donné à la civilisation, à ce que nous sommes fondés de nouveau à attendre d’elle. Ce sont d’abord, à l’aurore du moyen âge, ces humbles