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des Ruthènes, et dont tous les murs portent la marque de la furieuse bataille de rues, par laquelle ses femmes et ses enfants l’ont reconquise.

Vers qui vient de France, la Pologne intellectuelle se penche avec la même avidité qu’une population longuement assiégée sur le premier convoi de ravitaillement. Ce pays qui manque de tout a une fringale de littérature : « Qu’a-t-on publié en France pendant la guerre ? où en est votre théâtre ? votre roman ? votre poésie ? » La chronique des lettres a été, je ne sais comment, aussi outrageusement déformée par l’occupation boche que celle des événements militaires. Là où étaient les Allemands, on a ignoré la bataille de la Marne. En revanche, avec des détails circonstanciés, les journaux polonais ont raconté la mort de M. Claude Farrère, coulant avec son torpilleur. Ont été pareillement immolés, quoique dans des circonstances moins tragiques, M. Paul Bourget, Mme Juliette Adam, et quelques autres victimes. Il m’est donné, — avec quelle joie, et au milieu de quelle joie ! — de les ressusciter.

Mais le livre français, véhicule essentiel de la pensée française, va encore, durant bien des mois, pénétrer difficilement en Pologne. Ce n’est pas seulement à cause de la rareté des transports. Notre volume à cinq francs coûte là-bas soixante marks : autant dire que la consommation en est quasi interdite.

Aussi, est-ce de tout cœur, qu’il convient de saluer la hardie entreprise de deux de nos confrères.

Le 16 décembre 1919, paraît à Varsovie le premier numéro du Journal de Pologne. Il a pour directeur M. F. Delagneau, qui peu de jours avant portait avec éclat les galons de colonel dans notre armée, et M. Robert Vaucher, collaborateur de l’Illustration, l’un des correspondants de guerre les plus infatigablement dévoués depuis cinq ans à notre cause. Créer là-bas un journal polonais en français, qui quotidiennement fasse entendre notre voix et qui, en même temps, grâce à la diffusion de notre langue, répande, non à Paris seulement, mais dans le monde entier, la connaissance des aspirations et des réalisations de la jeune République : une telle initiative est audacieuse. En dépit de toutes les complications matérielles, de la rareté de la main-d’œuvre, de la cherté du papier, des grèves, de la disette des transports, le succès la couronne. Et tout de suite, nos confrères entendent corser l’action de la plume par