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pour ne point froisser des susceptibilités, voire des défiances qui sont explicables. A l’exception de quelques éléments socialistes germanisants qui sont en général d’origine juive, toute la Pologne est francophile. Mais, il y a des nuances. Ayons garde qu’une emprise militaire trop accentuée fasse parler d’une occupation française, succédant aux autres. On m’a dit avec une expansion sincère : « Comme nous avons été heureux de voir vos uniformes ! » On me dit aussi : « Que nous sommes heureux de voir un Français qui ne soit pas en uniforme ! »

A la Pologne qui manque de tout, comme il serait utile qu’à côté du concours militaire, fourni avec la mesure indispensable, nous fournissions aussi le concours économique dont elle a besoin ! Hélas ! nous nous heurtons à une situation de fait lamentable. L’état de notre production nous rend à peu près impossible d’offrir autre chose que quelques articles de luxe. Or la détresse financière de la nouvelle république, sans cesse aggravée par la hausse grandissante de tous les changes étrangers, l’oblige à proscrire toute importation qui n’est pas pour elle d’une nécessité vitale.

Il n’y a qu’un terrain où, tout de suite, nous pouvons nous manifester. La Pologne, — combien ce trait lui est honorable ! — ne manque pas seulement d’or, de charbon, de blé, de produits manufacturés et de transports. Elle manque de pâlure intellectuelle. Ce n’est pas seulement d’une disette matérielle qu’elle a souffert durant les années de séquestre qu’elle vient de traverser, ni de la disette des nouvelles ; c’est de l’absence de communications avec l’âme occidentale, dont des siècles de culture latine ont imprégné son âme. Si le français n’est parlé tout à fait couramment que par l’aristocratie et une portion de la classe libérale, on peut dire que notre culture répond à l’aspiration générale de la nation.

Ce n’est pas seulement à Varsovie, dans le salon du comte Krasinski devant l’élite spirituelle du pays, et le 14 juillet, devanttoutes les autorités de l’Etat, réunies pour honorer notre patrie, que le Français de passage éprouve ce que représentent les « mots magiques » qui viennent de Francs. Il trouve le même écho dans la grande salle de l’Université historique de Cracovie, dans l’Hôtel de Ville de Léopol (que nous n’appellerons plus Lemberg), où l’on cesse à peine d’entendre le canon