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l’endroit présente un aspect des plus curieux : il est bruyant, agité comme une Bourse, la Bourse aux canards, dit un mauvais plaisant. Au milieu des rumeurs, on entend la voix d’un employé qui crie : « Corriere della Sera, cabine numéro 9 ! » L’appelé se précipite, s’enferme à double-battant dans sa cage, déroule son papier, et commence à dicter. Les Belges ayant fait renforcer les piles, des phénomènes d’induction se produisent, des fuites d’une ligne à l’autre. Quand on parle à Paris, on entend de l’oreille droite un Allemand, qui vocifère dans sa langue ; de la gauche, un Anglais qui crie dans la sienne. C’est la plus horrible des cacophonies !


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Ce mardi 6 juillet, les militaires allemands, le général von Seckt, chef d’État-major général, le ministre de la Guerre Gessler étant enfin arrivés, il y aura réunion plénière pour discuter le désarmement. Comme je m’achemine vers la Fraineuse, je rencontre le capitaine Lhôpital, officier d’ordonnance du maréchal Foch. Je lui demande où est le maréchal. « Il descend justement à pied du Neubois avec le général Weygand, me dit-il. Si vous voulez le voir, vous n’avez qu’à aller au-devant de lui dans le parc. »

C’est ce que je m’empresse de faire. Le maréchal, une petite badine à la main, paraît en d’excellentes dispositions. « Vingt mois, lui dis-je, après la signature de l’armistice dans la forêt de Rethonde, vous allez vous retrouver à une même table avec des généraux allemands. » Ce souvenir le fait sourire. Apercevant les demoiselles Peltzer, les filles du maître de maison, il va les saluer et s’entretenir avec elles familièrement. On pense si photographes et cinématographes s’en donnent alors à cœur joie.

Son intime ami, son frère d’armes, le maréchal Wilson arrive presque en même temps. À peine l’a-t-il aperçu qu’il accourt vers lui et lui serre affectueusement la main. Rien n’est plus touchant que la camaraderie de ces deux grands chefs, qui ont l’un dans l’autre une absolue confiance. Si des mesures militaires doivent être prises envers les Allemands récalcitrants, on peut être sûr qu’elles le seront dans un accord parfait.

Le culte dont le maréchal Foch est l’objet en Belgique (c’est bien d’un culte qu’il s’agit) est chose véritablement