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vue magnifique, tout un vaste horizon de collines verdoyantes, de forêts et de prairies. On comprend que le Kaiser l’ait choisie.

Je trouve notre Président du Conseil dans le grand salon du rez-de-chaussée. Il est satisfait des négociations de Bruxelles. La partie qu’il va jouer ici est très grosse, très difficile. Mais il a pleine confiance. Il s’agit d’obliger l’Allemagne à désarmer tout d’abord, à nous livrer du charbon, ce qui est pour nous essentiel, à nous payer. Les promesses, les engagements de sa part ne sauraient nous suffire, nous voulons des gages et nous voulons des sanctions. Si nous parvenons à les obtenir, la Conférence aura marqué un progrès sensible pour l’exécution du traité.

Vigoureux et robuste, écoutant attentivement son interlocuteur, ne disant que ce qu’il veut dire et comme il veut le dire, toujours pareil à lui-même, sans défaillance, sans nervosité, sans à-coup, inspirant à ceux qui l’approchent une impression d’absolue confiance et d’entière loyauté, plein de patience et de bon sens et d’une fermeté inébranlable, quand les intérêts de son pays sont en cause, tel m’apparait une fois de plus M. Millerand. Il possède exactement les qualités qu’il faut pour discuter avec les Anglais. Lord Dirby, ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, au cours des quarante-huit heures qu’il est venu passer à Spa, me cite sur M. Millerand un mot de M. Lloyd George (soit dit en passant, nous ne serons jamais assez reconnaissants à Lord Derby des grands services qu’il ne cesse de rendre à l’Entente franco-britannique. Au cours des négociations difficiles qui ont précédé la Conférence, il a joué le rôle le plus actif et le plus bienfaisant.) « Quand des hommes d’Etat, des diplomates, a dit M. Lloyd George, me font une promesse, j’ai toujours soin de la leur demander par écrit. Avec M. Millerand, cette précaution est inutile. S’il me dit quelque chose, cela me suffit ! »

On ne saurait venir au Neubois sans visiter le souterrain déjà célèbre que le Kaiser fit creuser à grand’peine au-dessous de la demeure, pour y abriter sa couardise. Il y a là un luxe, un raffinement de précautions qui dépassent l’imagination, des portes à double-battant, épaisses, massives, garnies de clous, comme celles d’un coffre-fort, une sortie dans le parc soigneusement camouflée, etc. etc. Quel dommage qu’on ne puisse pas conduire ici en pèlerinage chaque Allemand pris en particulier !