Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/609

Cette page a été validée par deux contributeurs.
607
PASCAL ET LE « DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L’AMOUR. »

les Pensées : « Suivez la manière par où ils ont commencé : c’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même, cela vous fera croire. » Évidemment, ces deux textes traduisent en termes très voisins la même pensée, appliquée à deux « ordres » différents, et rien ne serait plus vraisemblable que de les supposer issus pour ainsi dire l’un de l’autre. Mais à la condition qu’on lise les Pensées dans nos éditions modernes, et non pas dans celle de Port-Royal, qui a simplement écrit : « Suivez la manière par où ils ont commencé ; imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures ; quittez ces vains amusements. » — « Aucune suggestion, a dit spirituellement et justement M. Lanson, ne pouvait sortir de cette rédaction timidement camouflée. »


Ces exemples suffisent sans doute, et la démonstration souhaitée est maintenant faite. Cette fois, la balance a fléchi totalement du côté de Pascal. « La philologie grecque ou latine s’estimerait fort heureuse d’avoir autant de raisons d’attribuer à Platon certains dialogues qu’on a renoncé à contester, et à Tacite le Dialogue des Orateurs. » Cette conclusion de M. Lanson sera la mienne. Rendons désormais à Pascal ce qui appartient à Pascal. Si l’on pouvait douter que le Pascal de Port-Royal fût l’auteur du Discours sur les passions de l’amour, le doute n’est plus permis pour le Pascal des vraies Pensées que nous a restituées la critique du XIXe siècle. Et je ne me repens pas d’avoir publiquement exprimé mon scepticisme, — un scepticisme d’ailleurs tout provisoire, — puisque ce scepticisme même a fait progresser la question, et a été l’occasion d’une nouvelle et plus précise enquête et l’origine d’une plus rigoureuse certitude.


VICTOR GIRAUD.