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justement noté, j’avais quelque tendresse, — lui paraît « séduisante, » et même, « à condition de ne pas mettre en avant de noms propres sur lesquels la discussion aurait prise » « la position » lui semble « inattaquable. » Au moins à première vue. Car, à la réflexion, suivant lui, des objections surfissent. M. Lanson ne se représente pas un bel esprit du XVIIe siècle se nourrissant des Pensées comme d’un livre classique et s’en inspirant, plus ou moins consciemment, pour écrire sur l’amour. D’autre part, la langue du Discours lui paraît, jusqu’à l’évidence, celle de la première moitié du XVIIe siècle, et il se trouve ainsi amené à en dater la rédaction d’avant 1670, date de la publication des Pensées.

Ces deux objections ne me frappent pas beaucoup, je l’avoue. Supposez un contemporain de Bossuet, — ou de Pascal, mais ayant survécu à Pascal, — écrivant vers 16S0 ou 1690 : en quoi sa langue, je le demande, pourrait-elle bien différer de celle de l’auteur, quel qu’il soit, du Discours ? D’autre part, je crois que les Pensées, dès leur apparition, ont eu un très vif succès, aussi bien dans le monde profane que dans le monde dévot. Mme de La Fayette a pu dire que « c’était méchant signe pour ceux qui ne goûteraient pas ce livre, » et le. P. Griselle nous a révélé qu’il s’était formé tout un groupe d’admirateurs de Pascal, que l’on appelait les Pascalins. A priori, pourquoi veut-on qu’entre 1670 et 1700 il ne se soit pas trouvé quelque pascalin, — mondain plutôt que dévot, — pour écrire le Discours[1]? Les difficultés soulevées contre une hypothèse, que par ailleurs on qualifie de « séduisante, » ne me paraissent donc pas insurmontables.

Il en va tout autrement de l’hypothèse qui ferait de l’auteur du Discours l’un des inspirateurs du Pascal des Pensées. Elle n’offre guère de consistance, et il n’y a pas lieu d’y insister bien longuement. Le Discours, — s’il n’est pas une imitation de Pascal, — révèle une personnalité littéraire et morale bien supérieure à toutes celles, de nous connues, qui, à l’époque de sa vie mondaine, ont entouré Pascal. On a prononcé, j’ai prononcé moi-même, en passant, et avec toute sorte de réserves, le

  1. Sans s’y arrêter longuement, M. Bruschvicg a envisagé avec une certaine complaisance cette hypothèse — Voyez dans la Revue de Fribourg de juillet 1907, l’article du P. Griselle sur Pascal et les Pascalins d’après des jugements contemporains.