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Remarquez bien qu’il ne s’agissait pas à ce moment-là de « la course à la mer, » de la marche vers le Nord. Au contraire ! Pas une minute à perdre : En avant vers l’Est ! Débordez le flanc ennemi en débouchant d’Arras et de Lens sur Bapaume et Cambrai ! En avant !… et la bataille de l’Aisne devenait une seconde victoire de la Marne. L’ennemi battait en retraite sur les Ardennes et la Meuse. Le sol de la Patrie était libéré. La France était victorieuse.

L’espoir était immense ; mais il fallait aller vite, plus vite que l’ennemi.

Alors tant pis pour les liaisons inexistantes, tant pis pour les bureaux et les services en retard, tant pis pour les États-majors incomplets, tant pis pour tout ce qui n’était pas là effectivement présent, à pied d’œuvre en Artois et capable de marcher et de se battre !

D’une part, un général et un chef d’Etat-major sans organes de commandement mais enthousiastes. D’autre part, des troupes déjà décimées mais résolues. Enfin, pas de machines à écrire, pas de téléphones. Des ordres verbaux ou griffonnés sur des bouts de papier ou des carnets à polycopier. Cela suffit : En avant ! On fera les comptes-rendus plus tard…


Imaginez alors qu’il est arrivé le contraire de ce qu’on attendait, et qu’à peine avions-nous ébauché notre mouvement en avant, au lieu de tourner l’ennemi, nous avons failli l’être par lui ; qu’au lieu d’attaquer, c’est nous qui avons été contraints de nous défendre devant un adversaire supérieur en nombre ; si bien qu’à un instant critique.— le 5 octobre, — surgissait pour nous sur les tours d’Arras le spectre de Sedan.

Imaginez enfin qu’à ce même moment, l’ennemi se trouvait lui-même épuisé par ses propres efforts et par notre extraordinaire résistance ; et que le général Foch arrivait à nous avec son âme ardente, des munitions et des réserves.

Il était temps. Sinon l’armée de Maud’huy, coupée, de l’armée de Castelnau, battait en retraite vers Calais ?… vers Abbeville ?… vers ?… et la gauche de la deuxième armée se repliait sur la Somme où l’on arrêtait d’ailleurs à ce moment les premiers trains amenant l’armée britannique relevée devant Soissons.

Alors ? La France aurait été coupée de l’Angleterre, — les