Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patience, l’aspect de chose éternelle. À travers ses générations, elle est restée la même, invariable en ses rythmes, comme cette eau, venue des infinis, qui flue et reflue, chaque jour, si paisiblement, sous le mur du port et l’ombre des feuillages.

Et, de même, la nature, ici, s’est pénétrée d’essence humaine. La mer, dans la crique ombreuse où dorment, chez eux, les rudes bateaux noirs, se fait humble, paysanne, intime comme, sous une feuillée, la mare d’une ferme portant les canetons qu’elle a vus naître. Ces beaux chênes aussi, ces châtaigniers au tronc puissant et droit, on voit bien qu’ils ne sont pas sauvages, qu’ils ont grandi près de l’homme, avec lui, en confiance, en alliance. Il y a toujours, il y a toujours eu des mâts, de longs avirons, des gaffes, rudes outils de pêcheurs, appuyés à leurs branches, mêles à eux, associés à leur personne et leur figure, comme il y a toujours eu du linge en train de sécher sur les ajoncs de la pente. Ces arbres sont familiers, familiaux, comme les vieux lits clos des fermes qui servirent aux ancêtres et n’ont pas cessé de servir. Et puis, à leur façon d’entourer la chapelle basse, le doué, les masures, comme on sent qu’ils abritent, qu’ils protègent, les grands chênes, que leur présence et leur ombre enveloppantes ajoutent, pour le pêcheur qui rentre, au sentiment du chez soi, du port et du gite retrouvés !

Pas un terrien ici. En cela ce hameau s’oppose au bourg qui lui fait face, à l’entrée de la rivière. On n’y voit pas le rigide et noir uniforme des campagnards du canton : tous les hommes portent bérets, tricots, blouses et pantalons de toile tannée comme les voiles de leurs bateaux. Certes, leur allure est grave, massive, mais d’une autre façon que celle des laboureurs. Lourdeur de l’homme qui vit dans l’espace confiné d’une barque, assis sur son banc, emprisonné dans ses bottes et son ciré, ne travaillant que des bras et de la poitrine, en gestes pénibles et qui ne varient pas, pour haler drisses et filets.

Les physionomies aussi sont différentes, moins purement locales. Rien de ces figures médiévales de bois qui signalent les paysans les plus sauvages, ni de ces expressions benoîtes de respect, de polie et quasi ecclésiastique sagesse, que l’on rencontre chez beaucoup de fermiers, et qui rappellent les portraits de donateurs dans les triptyques du XVe siècle. Des traits en vigueur, d’énergiques visages dont les lèvres rases accentuent