Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Wratchkowski, avec son aide Avdéief, et un criminel libéré. On y ajouta des gens des usines des frères Zlokazoff, clix-neuf ouvriers, dont dix étaient des criminels libérés. Puis arriva Jourowskyh, avec deux aides, un Russe et un Juif, et une équipe de Lettons. C’est de ces derniers qu’il sera parlé dans ce récit : ils ont été les geôliers et les bourreaux de la dernière heure. C’est par eux que le régime de la prison, d’abord supportable, à l’exception des visites du « contrôle, » toujours pénibles et outrageantes, fut changé en un odieux système de continuelles vexations. Telle fut alors la rigueur de l’emprisonnement qu’on alla jusqu’à supprimer les promenades au jardin ; peu à peu les gardiens lettons donnaient libre cours à leurs sentiments de haine et de basse cruauté : avec leur arrivée commença pour les prisonniers la montée du Calvaire.

La maison Epalieff reçut un nom de sinistre augure : elle devint « La Maison à destination spéciale. »

Le gardien chargé de la surveillance se nommait Avdéief ; il resta à son poste jusqu’au 10 juillet ; à cette date, accusé d’avoir volé 75 000 roubles au Tsar, il fut remplacé par Jourowskyh ; ce dernier amenait avec lui dix Lettons, spécialement choisis pour composer la garde intérieure de la prison ; l’un d’eux se nommait Behrsin, surnommé Paschko.

A partir de ce jour, le traitement infligé aux prisonniers empira sensiblement. Leur vie religieuse changea du tout au tout, car le prêtre et le diacre n’eurent plus la permission de les approcher ni de célébrer pour eux les offices. La famille impériale conserva, en dépit de tout, l’habitude de passer de longs moments en prière et manifesta, pendant toute la durée de sa captivité, la même ferveur mystique. Aussi la suppression des offices fut-elle une cruelle privation. Un incident singulier était advenu le jour qui précéda l’entrée en fonctions de la garde lettonne, dernier jour où la messe fut célébrée pour le Tsar et sa famille dans la maison Epatieff. Il y a dans la messe selon le rite grec-orthodoxe, une prière, dite à voix basse dans les messes ordinaires et chantée dans les services funèbres ; c’est un des moments où les fidèles s’agenouillent. Or, il arriva que, ce dernier jour de messe, le prêtre se trompa et entonna à haute voix le chant de cette prière ; suivant l’usage, toute la famille impériale tomba à genoux… L’impression fut profonde dans le petit groupe des assistants. Le prêtre a déclaré par la suite