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révélatrice : d’une part, le travail ancien prenant l’homme tout entier pour torturer son corps, abrutir son esprit ; d’autre part, le nouveau qui vous laisse en pleine euphorie physique, en pleine liberté d’esprit, avec le sentiment de dignité que donne la pensée qui règle tout, cependant que des moteurs serviles lui obéissent.

Les nouvelles méthodes de travail agricole donnent au paysan une autre fierté, encore plus distinguée. Elles ont un caractère scientifique et le paysan en est averti, non pas qu’il soit savant, ni puisse même donner l’explication des pratiques qu’il emploie, mais il sait que cette explication existe, et, dans l’espèce, cela suffit. Qu’il pulvérise le sol au temps chaud, mette une légumineuse sur la sole où doit venir le blé, établisse un pied de cuve avec ses raisins les plus fins pour rendre le vin meilleur, il sait que de tout cela les savants s’occupent. Il le sait par lui-même s’il est assez jeune pour avoir profité de renseignement agricole de l’école primaire, par son fils, si cet enseignement n’existait pas encore, du temps qu’il était écolier. Les enfants racontent chaque soir dans les maisons ce qu’on a dit à l’école sur les travaux des champs, humble source, dont on peut sourire, mais qui, coulant goutte à goutte, finit par imprégner l’âme paysanne.

La presse, dont les chroniques agricoles sont très lues, aide puissamment l’école à répandre, non seulement des notions précises, — plaise au ciel que l’une et l’autre en répandent chaque jour davantage ! — mais surtout cette idée bienfaisante que l’agriculture est une science.

L’idée flotte maintenant un peu partout, représentée par quelques mots assez vides de sens pour ceux qui les prononcent, mais tout de même efficaces. Ce n’est pas leur plénitude qui donne le plus de force aux mots, mais leur sonorité. Celui de science, même aux champs, devient sonore. Les paysans ne peuvent plus dire comme autrefois : « notre métier est le plus bête de tous, » ou encore : « la charrue est un instrument que deux bêtes tirent et une autre pousse. »

Comment les paysans n’auraient-ils pas eu très basse opinion de leur métier puisque cette opinion était générale ? Voyez la place humiliée du paysan dans notre littérature, surtout au théâtre. On injuriait un homme en lui disant tout court : vous êtes un paysan. L’emploi du mot, même aujourd’hui, demande,