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amenèrent la ruine ; on était découragé, prêt à tout lâcher ; la maladie survenant, on se fit inscrire à l’Assistance médicale gratuite. Depuis trois ans, ces vignerons n’ont pas moins de soixante mille francs de rente. Il y a d’ailleurs de l’ébranlement, et le trouble morbide n’est pas loin. L’homme a mis des pneus à toutes ses carrioles, et il en veut mettre à sa charrette à bœufs. Si la cellule nerveuse était tarée par l’hérédité, l’alcool, autre chose, nous eé répondrions de rien.

Tout cela s’entend pour des paysans propriétaires. Mais la prospérité des fermiers, dont les fermages sont ici très bas, n’est guère moindre, et les métayers sont riches, beaucoup quittant le métayage pour réaliser les bénéfices importants que leur donne la plus-value des cheptels. Il reste les autres, les salariés, maîtres-valets, domestiques, ouvriers, dont les salaires oui quadruplé. Ils se divisent en deux catégories : les uns, énergiques, économes, ambitieux, vont très vite devenir propriétaires ; les autres, quoiqu’on fasse pour eux, ne s’élèveront pas au-dessus de leur condition, qui est celle de leur insuffisance.

Les paysans reçoivent tout cet argent sous la forme de symboliques papiers pour lesquels ils ont héréditairement peu de goût. Un souvenir les hante, celui des assignats ; la Révolution n’en a pas laissé de plus vivace dans l’âme paysanne. Que faire de ces billets, sinon les employer ? On en fait deux emplois. Le premier, immédiat, de tous les jours, donne satisfaction à des besoins de bien-être et de luxe. Pour le manger et le boire, les habits, les bijoux, les meubles, les fêtes et plaisirs, on n’y regarde pas. La main s’ouvre sans regret sur les billets bleus qui s’envolent, au lieu qu’elle se fermerait d’une étreinte crochue sur la moindre pièce d’or. Aucun doute n’est possible : les paysans dépenseraient deux fois moins s’ils maniaient de l’argent monnayé. Beaucoup de leurs dépenses sont peu justifiées, d’autres fâcheuses. Ce sont de « nouveaux riches, » forcément inexpérimentés, et la fortune leur est subitement venue au lendemain d’une longue et terrible guerre, à ce moment trouble, bien connu des historiens, où l’homme, délivré de l’angoisse, est emporté par la frénésie de vivre et de jouir.

Le second emploi que les paysans font de leur argent est plus intéressant et de tous points louable. Ils achètent la terre autour d’eux. Les transactions rurales, tombées ici à presque rien avant la guerre, ont subitement rebondi. Telle étude de